En tant que personne queer vivant à Toronto qui se considère comme très active sexuellement, je me doutais que je contracterais peut-être la variole simienne. Quand j’ai appris que les cliniques de vaccination de la Ville ciblaient spécifiquement le personnel et la clientèle des saunas, j’ai tout de suite voulu y aller. Comme d'autres, j'ai une attitude proactive en ce qui a trait à ma santé sexuelle.
Le 15 juin au matin, des renseignements sont apparus sur Twitter à propos d’une clinique. Je me suis rendu au sauna, où j’ai attendu dans une file quasi interminable (elle s’étirait sur trois étages et débordait presque dans la rue). Après 15 minutes d’attente, on nous a annoncé qu’il n’y avait pas suffisamment de vaccins pour tout le monde. J'ai tout de même attendu et j’ai reçu ma dose; idem pour une trentaine de personnes qui faisaient la file derrière moi.
Deux jours plus tard, un vendredi, j’ai commencé à me sentir très fatigué au travail. Au début, je pensais que c’était un effet secondaire, comme pour le vaccin contre la COVID-19, mais j’étais tellement épuisé que j’ai dormi presque sans interruption jusqu’au lundi. Durant la fin de semaine, j’ai remarqué le début d’un bouton sur une de mes fesses. Comme je venais de me faire vacciner, j’avais bon espoir que ça ne soit pas la variole du singe. Sauf que j’avais des courbatures et un mal de tête tellement épouvantable que j’ai vomi, ce qui ne m’était jamais arrivé avant. Le lundi suivant, le bouton était devenu une lésion qui ressemblait parfaitement aux photographies sur internet.
J’ai avisé les personnes que je devais aviser. Un de mes amants m’a répondu et nous avons déterminé que je lui avais transmis le virus. Quand nous nous sommes parlé, il était au lit très malade depuis 4 jours.
Je travaille dans le milieu de la santé sexuelle depuis plus de 15 ans et donc, je connais un des médecins responsables de la première étude sur la variole simienne lancée à Toronto. J’ai donc réussi à obtenir un rendez-vous de dépistage pour mon amant et moi, pour confirmer notre diagnostic, quoique nous le savions déjà. La plupart des gens n’ont pas cette chance. Iels doivent attendre des heures à l’urgence et être reçus par des professionnel·le·s de la santé qui ne sont pas équipé·e·s s pour répondre à leurs besoins et qui en savent très peu sur la maladie. Donc, les gens restent à la maison et les chiffres ne correspondent pas à la réalité. Le nombre d’infections réelles est probablement beaucoup plus élevé que le nombre de cas confirmés.
Certaines personnes n’ont aucun symptôme alors que pour d’autres, c’est terrible. Je m’en suis plutôt bien tiré par rapport à mon amant : il a eu des lésions partout, y compris dans l’urètre, le nez et la gorge, sur la plante des pieds, les mains, le torse et le cuir chevelu. Récemment, il en a développé une dans l’œil. C’était tellement grave qu’il commençait à perdre la vue. Pour sauver son œil, il s’est fait prescrire l’antiviral Tecovirimat, connu sous le nom de TPOXX. Mon amant et moi faisions partie des 40 premiers cas à Toronto. À ce moment-là, aucune de nos connaissances n’avait contracté le virus et personne ne savait quoi faire. Nous avons dû prendre soin l’un de l’autre. Internet balayait notre expérience du revers de la main : « Prenez des Tylenol. Les symptômes sont généralement légers et disparaissent en trois semaines ou moins. » Nous étions vraiment laissés à nous-mêmes.
C’est pour ça que j’ai lancé le site igotmpox.com. Je voulais faire connaître mon expérience et celles d’autres personnes, car je constatais qu’il n’y avait aucune information sur la façon de se traiter, ni aucune ressource pour accompagner les gens sur le plan affectif. Le site est une lettre d’amour aux personnes bispirituelles et aux gars gais, bi et queers, mais c’est aussi un guide pour tous les gens qui vont attraper la variole simienne (certains vont l’attraper, c’est inévitable). Je l’ai rédigé avec beaucoup d’insolence, de franchise et de camp pour aider les gens à faire des choix, à être dans l’autocompassion et à prendre soin d’eux.
Depuis le lancement du site, j’ai reçu des témoignages d’un peu partout au pays. Les gens me remercient pour la ressource et me parlent de leur expérience. J’ai appris qu’il y a beaucoup de pauvres gars qui vivent ça tout seuls, qui tombent très malades et qui n’ont pas vraiment l’impression d’avoir accès à des soins de santé compétents. Une personne à Montréal m’a dit qu’elle avait arrêté de manger parce que faire caca lui faisait trop mal. Une autre n’arrivait pas à dormir toute la nuit parce que ses lésions étaient insupportables. Certaines personnes ont dû acheter un nouveau matelas tellement la situation était intenable. Un jeune gars de Terre-Neuve a décidé de s’endurer sans aller à l’urgence, même s’il a possiblement une infection secondaire des gencives et de la gorge. Il veut éviter une expérience qui serait sans aucun doute stigmatisante, violente et marquée par l’incompétence.
Quatre semaines se sont écoulées et mes lésions ont guéri. Mon amant a dû endurer deux semaines de plus. Nous gardons tous les deux des cicatrices, des petits ronds un peu partout sur nos corps. Reprendre les activités quotidiennes s'est avérée plus compliquées que j'avais imaginé. On dirait que cette expérience n'est pas terminée, puisque d'autres sont infectés constamment, puisque nous savons qu'ils sont seuls, puisque nous sommes habités par ces pensées.
Malheureusement, les gouvernements fédéral et provincial se sont complètement plantés en ce qui concerne le soutien aux personnes qui doivent s’isoler après avoir contracté la variole simienne. Il n’y pas de Prestation canadienne de la relance économique, de Prestation canadienne pour les travailleurs en cas de confinement, de Prestation canadienne de maladie pour la relance économique, d’aide au paiement du loyer ou de protection contre les évictions. Même les médecins qui ont un minimum d’information sur le virus sont rares. Nous n’avons presque aucun des mécanismes de soutien mis en place durant la pandémie de COVID-19. Nous sommes plus ou moins laissé·e·s à nous-mêmes.
J’encourage vraiment les gens à poser des questions aux professionnel·le·s de la santé et à défendre leurs propres intérêts. Malgré toutes les choses qui pourraient être faites, en ce moment, on ne fait rien pour les personnes qui ont la variole du singe. Je vois igotmpox.com comme un manifeste communautaire (un mpoxifesto en anglais). C’est une ressource qui permet de faire circuler l’information sur le traitement adéquat des lésions et des blessures, et de nous épauler en parlant de nos expériences. C’est un gros mandat, mais c’est absolument nécessaire vu la situation actuelle.
Len Tooley, directeur, Évaluation et avancement au Centre de recherche communautaire