Si les cultures sexuelles queers ont évolué dans le contexte du VIH/sida, il en va de même pour le rapport entre le sexe et les drogues. Aux premières stratégies de prévention, comme le port du condom et le « sérotriage », s’ajoute désormais un nouveau paradigme avec des approches comme I=I, la PEP et la PrEP. Les drogues consommées lors des rapports sexuels ont également changé. Les poppers, l’alcool, le pot et le LSD des années 70 ont fait place au crystal meth, au GHB, à la kétamine et à l’ecstasy d’aujourd’hui.
Le milieu du « party and play » (PnP) se situe à l’intersection des activités sexuelles et de la consommation de drogues, une sous-culture où les drogues s’intègrent à des pratiques afin de faciliter, améliorer ou prolonger l’activité sexuelle. Le PnP peut donner une occasion ludique de se désinhiber, d’essayer de nouvelles choses, de repousser les limites et d’avoir des rapports sexuels plus audacieux et époustouflants. Mais de telles possibilités s’accompagnent parfois de nouveaux défis, de la gestion de la consommation aux sentiments de honte liés à la stigmatisation et aux « regrets du lendemain ». Cette importante intersection entre les activités sexuelles, la sexualité et la consommation de drogues est rarement prise en compte par les services de traitement des dépendances.
Conscient de cette tendance, le CBRC a estimé que le temps était venu de poser une question au milieu communautaire : quelles conversations, connaissances et approches nous permettraient-elles de parler de consommation de drogues avec la même rigueur qu’en matière de sexe et de santé sexuelle? Pour répondre à cette question, nous avons publié un article qui présente un résumé des échanges avec des leaders en matière de réduction des risques en contexte de PnP. Cette ressource s’appuie sur notre travail précédent sur la consommation de substances en contexte sexuel qui porte sur les thèmes de la stigmatisation, de la défense des droits, des soins communautaires et de la décriminalisation en lien avec le PnP.
Pour comprendre comment ces thèmes se manifestent dans le milieu communautaire, nous nous sommes également entretenus avec Bren Dixon (iel/il) et Andrew Thomas (il). En partenariat avec le CBRC, Dixon et Thomas œuvrent à adapter Peer N Peer, un programme de santé sexuelle et d’utilisation de substances queer mené par les pair·es d’abord mis sur pied par le Queer and Trans Health Collective (QTHC) à Edmonton et MAX Ottawa. Iels adaptent désormais le programme à leurs milieux respectifs, le Sexuality Education Resource Centre (SERC) à Winnipeg et la AIDS Coalition of Nova Scotia (ACNS) à Halifax.
En tant que coordonnateur·rices de Peer N Peer, Dixon et Thomas supervisent de petites équipes solides qui distribuent du matériel de réduction des risques au sein de leurs communautés, notamment des trousses de sécurisexe et des trousses pour s’assurer de fumer, inhaler, faire des booty bumps et s’injecter de façon plus sécuritaire. Les équipes offrent également des ressources telles que des dépliants et d’autres documents éducatifs sur les drogues de PnP et sur la façon de les utiliser de manière plus sécuritaire. Elles partagent ces informations dans les universités et les collèges, les organismes à but non lucratif et même dans les clubs.
La collectivité manitobaine accueille favorablement le programme Peer N Peer. Chaque semaine, on compte en moyenne de 10 à 15 commandes de matériel de réduction des risques, en plus d’approvisionner d’autres ressources pour les personnes bispirituelles et LGBTQIA+. « Nous savons que la réduction des risques permet de garder les gens en santé », déclare Dixon. « La réduction des risques sert à assurer la sécurité des gens et à prendre soin de la communauté. »
Une analyse du contexte menée par le SERC Manitoba plus tôt cette année révélait qu’à Winnipeg et au Manitoba, les hommes 2S/GBQ+ cis et trans sont plus nombreux à consommer de l’alcool et des drogues et à avoir des problèmes de dépendance, par comparaison à la population générale. Les données du sondage Sexe au présent du CBRC démontrent aussi que la plupart des personnes 2S/GBQ+ (51 %) ne cherchent pas activement à changezr leur consommation de substances, ce qui signifie que la réduction des risques est appelée à jouer un rôle important. Dixon explique que, même si le matériel d’injection et les trousses de crack sont plus accessibles à Winnipeg, de nombreux préjugés subsistent quant au profil et à l’emplacement des consommateur·rices de drogues, ce qui limite la disponibilité du matériel à certaines zones et communautés. C’est pourquoi la livraison de trousses de sécurisexe et de trousses de consommation de drogues sécuritaires directement chez les membres de la communauté permet une plus grande diffusion du matériel.
La communauté PnP compte peu de membres et ceux-ci sont parfois dispersés, en particulier dans les petites villes et les régions rurales, de sorte que les rejoindre en personne peut s’avérer difficile. Par conséquent, le programme intervient là où se rendent les personnes qui pratiquent le PnP, c’est-à-dire en ligne. On trouve le programme sur Grindr au Manitoba et à Halifax et celui-ci a noué un partenariat avec monbuzz.ca, un questionnaire d’auto-évaluation sur la consommation d’alcool et de drogues créé par RÉZO. Le questionnaire vise à aider les personnes à faire le point sur leur consommation d’alcool et de drogues et à évaluer les effets possibles sur leur sexualité et leur santé sexuelle. Les participant·es peuvent aussi clavarder avec un intervenant et accéder à des liens vers des ressources de proximité.
Comme toutes les communautés 2S/LGBTQIA+, les besoins de la communauté PnP sont multiples et s’abordent par une approche de réduction des risques et de soutien par les pair·es. Par exemple, la première fois qu’une personne accède au programme Peer N Peer, cela peut être pour obtenir des seringues. Mais au fil des interactions avec des membres du personnel comme Dixon et Thomas, iels ont l’occasion de connaître et de faire confiance aux services mis à leur disposition. Cela permet d’épauler les gens de manière plus globale, par exemple pour résoudre des problèmes de précarité alimentaire ou en matière de domicile. Ainsi, la distribution de matériel de réduction des risques peut mener à orienter les gens vers d’autres services et organismes adaptés à leurs besoins. « Aborder la consommation de substances ne se limite pas à ce seul enjeu », estime Thomas. « Ça permet de mettre les gens en contact avec d’autres ressources. » Les communautés 2S/LGBTQIA+ affichent souvent des taux plus élevés de disparités sociales et de santé (p. ex. troubles alimentaires, problèmes d’image corporelle, problèmes de santé mentale, tendances suicidaires). Toutefois, établir un climat de confiance pour parler de questions qui vont au-delà de la consommation de substances — en particulier avec des personnes qui partagent leur identité queer — peut faciliter le recours à d’autres services.
Par ailleurs, de nombreux services ne sont pas adaptés aux besoins des personnes queers et trans. « La plupart des programmes et des organismes ne connaissent même pas les pratiques de PnP », constate Thomas. Par conséquent, le PnP passe souvent inaperçu dans les programmes grand public, les thérapies de groupe ou le matériel pédagogique, qui se concentrent uniquement sur la consommation de substances sans faire le lien avec la sexualité et les rapports sexuels queers. Les coordonnateur·rices de Peer N Peer travaillent à sensibiliser les fournisseur·ses de services et les professionnel·les de la santé aux pratiques de PnP « pour leur faire comprendre minimalement que ça existe ». Puisque les pratiques de PnP sont issues des communautés 2S/GBTQ+, elles sont rarement abordées (ou connues) au sein des centres de rétablissement ou de réadaptation. Cela vaut tout particulièrement pour les personnes trans qui pratiquent le PnP — les services sont doublement dépourvus de programmes qui s’adressent aux personnes queers et trans, indiquant la plupart du temps que leurs services sont destinés à une clientèle « masculine » ou « féminine », sans laisser de place à la diversité de genre.
« C’est une importante facette de nos vies et souvent un élément majeur de notre consommation de substances. Joindre un groupe de soutien sans pour autant se sentir à l’aise de parler de sa sexualité, par exemple, c’est un obstacle énorme », explique Thomas. Le fait d’aborder le PnP dans des conversations sur la consommation de drogues, où la sexualité et les pratiques sexuelles sont étroitement liées à la consommation, risque de rendre les échanges difficiles au sein d’un groupe ou dans le cadre d’une consultation individuelle si personne d’autre ne comprend le contexte ou les enjeux. Le programme Peer N Peer rejoint les gens à l’intersection du sexe et de la drogue tout en nouant des liens entre les personnes des communautés 2S/LGBTQIA+. « Notre programme fournit ce soutien puisque personne ne juge le ou la client·e d’avoir participé à une orgie de crystal meth la veille. Iel peut parler ouvertement avec des gens qui ont vécu la même expérience sans crainte de jugement. »
Pour plus d’informations sur le travail du CBRC sur la consommation de substances en contexte sexuel, consultez le lien suivant : https://fr.cbrc.net/partynplay.