Retrouver sa langue : comment les services communautaires 2S/LGBTQIA+ peuvent mieux répondre aux besoins des francophones en situation minoritaire

Le mois de mars a toujours été spécial pour moi. En tant que jeune personne queer (et plus tard non binaire) provenant d’une petite ville de l’Est ontarien, il m’a fallu beaucoup de temps pour comprendre comment les multiples facettes de mon identité s’influencent mutuellement. Vous comprendrez donc mon enthousiasme à célébrer les différentes fêtes qui reconnaissent ces différentes parties de moi, tant la Journée de la Francophonie le 20 mars que la Journée de visibilité trans le 31 mars.

Au fil des années, mes réflexions printanières sont devenues de plus en plus critiques. Il était pénible pour moi de réaliser que les espaces queers et trans qui me sont si chers ne sont pas souvent, pour ne pas dire jamais, conçus avec mes identités entrecroisées en tête. Or, il peut être difficile d’exprimer les défis que nous vivons à titre de membres des communautés francophones en situation minoritaire (CFSM) quand on parle d’accès aux services queers et trans, souvent par peur de rendre la tâche plus compliquée pour les prestataires de services déjà surchargé·e·s.

Cependant, le manque de discussion sur les réalités des francophones en situation minoritaire queers et trans ne sert qu’à limiter notre capacité à améliorer les formes de soutien dont nous avons besoin. Pour rectifier le tir et entamer le Mois de la Francophonie du bon pied, je souhaite partager quelques pistes à suivre pour créer des services communautaires 2S/LGBTQIA+ plus accessibles, représentatifs et responsables pour nous toustes.

Contextualiser la francophonie queer et trans en situation minoritaire

Bien que la plupart des francophones du Canada vivent au Québec, environ 13 % vivent dans des provinces majoritairement anglophones. Ce pourcentage représente plus d’un million de personnes, soit presque la même taille que la communauté 2S/LGBTQIA+. Selon les données issues du recensement fédéral de 2021, l’Ontario compte plus de la moitié des francophones en situation minoritaire : on y retrouve près de 592 000 personnes ayant le français comme langue maternelle. Ce n’est pas rien! Cependant, bien que ce nombre ait légèrement augmenté depuis le recensement de 2016, la promotion de la langue française stagne. À l’extérieur du Québec, le taux de bilinguisme français-anglais diminue. La responsabilité revient donc aux CFSM de se retrousser les manches pour assurer notre propre essor, sans quoi la menace de l’assimilation linguistique continuera à gagner du terrain.

À vrai dire, cette réalité n’est pas récente ni surprenante. Les CFSM ont toujours été autonomes par nécessité. Depuis le temps de la Conquête, l’Amérique du Nord est hostile au fait français. Historiquement, cette hostilité se faisait sentir, entre autres, par le biais de politiques officielles visant à rayer la francophonie de l’île de la Tortue, comme la déportation des Acadien·ne·s au 18e siècle, l’Acte d’Union de 1840, le Règlement 17 de 1912 et j’en passe. Bien qu’il soit indéniable que la francophonie bénéficie de plus de soutien gouvernemental depuis les cinq dernières décennies, largement en raison de la Charte canadienne et des lois provinciales encadrant les services en français, nous avons quand même dû continuer à lutter contre cet héritage colonial francophobe pour assurer notre place au sein du « Rest of Canada ». Il suffit de regarder ce qui s’est passé en Ontario en 2018, lorsque le gouvernement provincial a tenté de sabrer le financement à l’Université de l’Ontario français (UOF) et de démanteler le Commissariat aux services en français (CSF). Cette décision n’a été infirmée qu’après une manifestation populaire massive aux quatre coins de la province, démontrant à quel point les CFSM sont prêtes à se mobiliser pour défendre nos acquis.

Une photo de Francesco à Ottawa en 2018 lors de la manifestation contre la décision du gouvernement provincial d’éliminer le financement à l’UOF et d’abolir le CSF.Une photo de Francesco à Ottawa en 2018 lors de la manifestation contre la décision du gouvernement provincial d’éliminer le financement à l’UOF et d’abolir le CSF.

Cette énergie de résistance a longtemps motivé les CFSM à créer les réseaux de soutien qui nous étaient nécessaires pour survivre et s’épanouir en français. Là où la prestation de services était insuffisante, les groupes de revendication ont pris l’initiative d’exiger mieux. À bien des égards, cette tendance reflète aussi les réalités des personnes queers et trans, d’autres groupes marginalisés qui ont été ignorés de manière systémique par les gouvernements censés nous représenter. La devise « par, pour et avec » a donc de profondes implications pour ces deux communautés. Mais qu’arrive-t-il lorsque les gens situés à leurs intersections, les francophones hors Québec queers et trans, manquent de ressources? Quand on est si habitué à devoir tout faire par nous-mêmes, il peut être épuisant (pour ne pas dire débilitant) de devoir toujours se tailler une place sans l’aide d’autrui. Heureusement, on peut créer un environnement où l’entraide nous permet de changer les choses.

Appel à la solidarité : tissons des liens plus étroits entre les organisations communautaires 2S/LGBTQIA+ et les francophones en situation minoritaire

Il existe depuis trop longtemps un manque de dialogue, voire de solidarité, entre les communautés 2S/LGBTQIA+ et les CFSM, simplement dû au fait que nos identités sont souvent présentées en silos — l’on est soit une minorité sexuelle ou de genre, soit une minorité francophone, mais rarement les deux. Depuis le début des années 2010, cette tendance se modère graduellement, surtout dans les espaces francophones : on y voit maintenant davantage d’initiatives visant à répondre aux besoins des minorités sexuelles et de genre au sein même des CFSM. Je pense notamment aux exemples de ma propre province, où les organisations aux couleurs vert et blanc du drapeau franco-ontarien accordent de plus en plus d’importance aux efforts de diversité, d’équité et d’inclusion. De plus, plusieurs OSBL de la province travaillent dur afin d’offrir des ressources et de mettre en place des programmes explicitement destinés aux personnes queers et trans francophones en situation minoritaire, comme les organismes FrancoQueer et Action Positive VIH/sida.

Cela dit, au-delà du sentiment d’isolement qui accompagne le besoin de toujours être autonome, les francophones queers et trans en situation minoritaire font face à d’autres défis qui nous empêchent de vivre pleinement nos identités, notamment l’insécurité linguistique. Pour les CFSM, ce phénomène se résume par le sentiment que notre capacité à s’exprimer en français n’est pas à la hauteur des exigences de la langue et des attentes des locuteur·rice·s en situation majoritaire. Cet enjeu nous pousse souvent à abandonner la langue française tout court, préférant mieux vivre en anglais que de ne pas se sentir dignes ou capables de parler un « bon » français.

Bien que les organisations communautaires issues des CFSM ont longtemps tenté de limiter les impacts de l’insécurité linguistique, l’assimilation se poursuit. Il est donc crucial que les prestataires de services communautaires 2S/LGBTQIA+ hors Québec se montrent solidaires à leurs membres francophones en leur offrant des espaces où iels peuvent s’exprimer dans leur langue sans honte ni crainte. Sans ces efforts, l’on facilitera involontairement la disparition graduelle du français en situation minoritaire. Malgré que ce soit plus facile à dire qu’à faire, nous pouvons poser des gestes concrets dès aujourd’hui pour assurer la pérennité des communautés francophones queers et trans, et ce sans avoir à complètement restructurer les services desquels nous dépendons.

Misons sur l’intersectionnalité pour améliorer l’offre de services communautaires 2S/LGBTQIA+ en français : compétence culturelle et offre active

Les gens qui travaillent à promouvoir la santé et le bien-être 2S/LGBTQIA+ connaîtront bien le langage de compétence culturelle. Ce concept se résume au fait d’offrir des services qui sont adaptés aux réalités particulières des groupes que nous desservons. La compétence culturelle est particulièrement importante lorsqu’on parle de communautés marginalisées, telles celles des personnes racisées ou immigrantes, sans quoi nos services risquent de perpétuer des standards et des pratiques racistes, xénophobes ou ignorants. En parlant aux gens dans un langage qui leur est familier et en offrant des services qui sont sensibles à leurs besoins uniques, nous pouvons assurer de meilleures normes de soin.

À la compétence culturelle s’ajoute le concept de l’offre active mieux connu des CFSM. Ce dernier se résume par une invitation à accéder aux services en question dans la langue officielle de notre choix, sans avoir à le demander. Que ce soit un simple « bonjour, hello! » ou une affiche qui note le bilinguisme des employé·e·s de première ligne, l’offre active fait savoir aux membres des CFSM que nous n’avons pas à abandonner notre langue pour pouvoir bénéficier des services de soutien qui nous sont offerts. Cependant, l’offre active n’est pas seulement une question de justice linguistique — elle implique aussi la justice raciale et immigrante. Selon Statistique Canada, des presque 270 000 immigrant·e·s francophones établi·e·s en Ontario, seulement environ 26 % ont indiqué utiliser la langue française au travail. D’autres recherches démontrent qu’à Ottawa, les immigrant·e·s qui ne parlent que le français font face à plusieurs sources de stigmatisation, surtout en lien au désavantage qu’engendre le marché du travail largement anglophone.

Même si les prestataires de services communautaires 2S/LGBTQIA+ n’ont pas le pouvoir de renverser cette tendance à elleux seul·e·s, iels sont bien placé·e·s pour limiter ses effets aliénants au sein même des espaces queers et trans, tant par le biais de l’offre active que par le partage de ressources francophones là où le manque de ressources ne permet pas l’embauche d’employé·e·s bilingues. D’autant plus, il est clair qu’il y a un besoin criant pour ce genre d’initiatives. Par exemple, selon une étude récente, les minorités francophones queers et trans du Manitoba se sentent souvent rejetées par leurs deux communautés d’appartenance. Ce sentiment se résume bien par la déclaration d’un participant à l’étude en question : « En tant que personne pansexuelle et polyamoureuse, j’ai l’impression d’être aux marges d’une marge, comme si je n’ai pas ma place dans les communautés 2SLGBTQ+ et francophone » (Prada et al. 2022, p. 10, traduction libre). Bref, si les services communautaires 2S/LGBTQIA+ hors Québec souhaitent réellement adopter une approche intersectionnelle dans le cadre de leur travail, il est crucial d’améliorer l’offre active, le partage de ressources en français et la compétence culturelle envers les CFSM, portant une attention particulière aux besoins des francophones racisé·e·s et des personnes nouvellement arrivées au Canada.

Nous sommes, nous serons : assurons la pérennité de toutes nos communautés

Les personnes queers et trans comme les francophones en situation minoritaire savent que notre place en société n’est pas garantie et que nous devons continuellement lutter pour préserver nos acquis. En unissant nos forces et en se montrant solidaire aux luttes d’autrui, il sera non seulement plus facile de réclamer l’accès aux services qui nous sont dus dans notre langue, mais aussi d’adapter nos propres pratiques pour favoriser l’inclusion de toustes au sein même de nos communautés respectives. Bien que cette inclusion nécessite plus de ressources et d’efforts, nous avons déjà prouvé que nous sommes capables de répondre aux besoins de plusieurs groupes en même temps sans limiter notre capacité d’accomplir de grandes choses. Nous pouvons même remarquer cette détermination dans les slogans populaires chez nos deux communautés. Que ce soit « we’re here, we’re queer » ou « nous sommes, nous serons », nous n’avons pas à chercher bien loin pour trouver l’inspiration qu’il nous faut pour aller de l’avant ensemble.

Par Francesco MacAllister-Caruso

Available in English.

CBRC

À propos du CBRC

Le Centre de recherche communautaire (CBRC) promeut la santé des personnes issues de la diversité sexuelle et de genre par le biais de la recherche et du développement d’interventions.
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