Vapeur et miroirs : les poppers dans le contexte de la politique canadienne sur les drogues

En 2013, Santé Canada a interdit la vente de poppers, produit très apprécié par les hommes gais, bisexuels et queer (GBQ) tant dans la chambre à coucher que sur la piste de danse. En termes simples, l’inhalation de poppers détend les muscles et donne un rapide effet d’euphorie, facilitant le sexe anal. Ces produits, contenant des nitrites d’alkyle, étaient utilisés librement depuis les années 1970, mais leur vente au Canada est maintenant illégale. La vraie question est : « pourquoi ? »

Santé Canada suggère que le mélange de poppers avec certains médicaments présente des risques et qu’il existe des possibilités de surdose. Selon Santé Canada, cette interdiction aurait été instaurée afin d’assurer la santé des hommes GBQ. En tant qu’étudiant intéressé par ce problème, je ne suis pas convaincu.

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Tout d’abord, les risques qu’ils identifient ne sont pas vérifiés — du moins dans la littérature publiée. La crainte liée au mélange avec d’autres médicaments semble provenir d’un avertissement à la prudence publié par Pfizer (1) qui a été fréquemment repris par d’autres chercheurs, sans données réelles à l’appui. En ce qui concerne les problèmes de surdose, une étude a dénombré 250 millions de doses de poppers vendues à des fins récréatives par année aux États-Unis, sans qu’aucun rapport de décès par surdose n’ait été enregistré (2). La surdose de poppers est possible, mais extrêmement rare, et les décès résultent généralement de l’ingestion de produits destinés à être inhalés.

Même si l’on met de côté l’absence de preuves, si Santé Canada avait pour but de réduire les dommages causés aux hommes GBQ, l’interdiction des poppers ne serait pas la solution. La prohibition d’un produit n’a pas fonctionné pour l’alcool, elle n’a pas fonctionné pour le cannabis, et elle ne fonctionnera pas pour les poppers. Les données de l’enquête Sexe au présent du CBRC, une étude nationale sur les hommes GBQ menée périodiquement, ne démontrent que des baisses minimes de l’utilisation de poppers depuis l’interdiction. L’utilisation de poppers au cours de l’année est passée de 33,9 % en 2012 à 28,4 % en 2015, tandis que la prévalence de l’utilisation quotidienne n’a pas changé.

Cette absence de diminution peut s’expliquer par une augmentation de ventes non autorisées, à la fois en personne et en ligne. Malheureusement, il semble que certains produits sur ce marché soient significativement plus nocifs que ceux disponibles avant l’interdiction. Le terme « nitrites d’alkyle » désigne une famille de produits chimiques dans laquelle le nitrite d’amyle et le nitrite d’isobutyle sont les plus populaires. Sans approvisionnement règlementé, il n’est plus possible de savoir quel produit chimique se trouve dans ces bouteilles. Les produits les plus récents semblent causer des altérations de la vue (3) (4) et intensifier les maux de tête (selon des preuves anecdotiques).

Considérant que le changement de politique de 2013 semble avoir augmenté les risques sur la santé, comment comprendre que cette interdiction se soit inscrite au programme de Santé Canada ? N’oublions pas que les poppers ne présentent pratiquement aucun risque de dépendance, contrairement aux cigarettes et à l’alcool. Tous les indices semblent indiquer que le changement de loi n’a pas été basé sur de sérieuses recherches en santé. Il est sans doute plus probable de penser que les poppers ont été interdits sur la base de valeurs conservatrices anti-drogue et anti-gaie. Pour le gouvernement sortant, il s’agissait probablement plutôt de prévenir les comportements non orthodoxes que de prévenir les dommages implicites liés aux poppers.

Cette interdiction s’inscrit très bien dans la ligne directrice des politiques sur les drogues du gouvernement de l’époque. La Stratégie nationale antidrogue (SNAD), renouvelée en 2012, a été critiquée pour avoir mis aveuglément l’accent sur l’application de la loi, au détriment des résultats sur la santé. Selon la Coalition canadienne des politiques sur les drogues, un groupe de réflexion national exigeant des politiques antidrogues fondées sur des preuves, la SNAD ne disposait « d’aucune stratégie globale permettant d’identifier les objectifs en fonction desquels les effets pourraient être mesurés. » Dans le cas des poppers, aucune évaluation du point de vue de la santé publique n’a eu lieu.

Des valeurs sociétales auraient-elles réellement pu contribuer à maintenir un faux sentiment de risque ? Comme ce sont tous deux des médicaments qui améliorent le plaisir et l’intimité sexuels, il peut être utile de comparer les poppers aux médicaments améliorant l’érection. Bien que ni l’un ni l’autre ne soient particulièrement nocifs — selon les preuves scientifiques — le fait que les poppers soient inhalés et utilisés principalement pour le sexe anal signifie qu’ils sont sujets aux stéréotypes d’abus de drogues et de sexualité homosexuelle, ce qui n’est pas le cas pour les médicaments améliorant l’érection. Non seulement ces stéréotypes renforcent les mythes des risques sur la santé, mais ils créent également une forte stigmatisation qui a pour conséquence que les poppers ont peu d’appui dans la sphère publique. Il est plus facile, après tout, de parler publiquement des dangers d’une drogue illicite que des mécanismes liés au sexe anal.

Poppers vials resting amongst potted plant

Même si l’idée des vapeurs de poppers flottant librement dans les saunas peut effrayer certains, les personnes qui utilisent cette drogue (les seules personnes réellement affectées par cette nouvelle politique) n’auraient-elles pas du être consultées dans le processus de la prise de décision ? Santé Canada devrait bannir un produit après avoir recueilli des évidences concrètes et consulté des parties prenantes, pas en se basant sur une association à une déviance. Malgré les couches de panique morale, les poppers font toujours partie de la culture GBQ : un accessoire sur la piste de danse et un moyen pratique de réduire la douleur pendant les rapports sexuels.

Une étrange partie de cette histoire est qu’aucune nouvelle loi n’a été adoptée. L’interdiction s’est vue justifiée par la Loi sur les aliments et drogues, mise à jour en 1985. En réalité, la vente de poppers au Canada est illégale depuis plus de 30 ans, mais les raisons derrière le soudain intérêt du gouvernement face à ce dossier n’ont jamais été publiées.

Ceci ne veut pas dire que les poppers ne méritent pas l’attention du gouvernement. Bien qu’il s’agisse d’une drogue plutôt sécuritaire, il reste beaucoup à apprendre sur le rôle potentiel du nitrite d’amyle et de l’isobutyle dans la transmission d’ITSS virales, telles le VIH et le VPH. Des évidences suggèrent que les effets physiologiques des poppers augmentent temporairement la sensibilité du corps aux virus. Des recherches supplémentaires sur le sujet pourraient aider à créer des campagnes de sensibilisation qui pourraient accroitre la santé des hommes GBQ. Mais au lieu de cela, ces hommes n’ont pu que jeter un regard déconcerté sur les devantures des magasins qui ont été dépouillées de leurs poppers, avant de voir naitre et prospérer une panoplie de marchés non règlementés.

Tout cela pour dire que notre gouvernement doit faire un meilleur travail à séparer le risque du « risqué ». Nous ne pouvons pas laisser des croisades morales se confondre avec des politiques de santé publique ; si nous parlons du mieux-être des citoyens, l’interdiction des poppers n’a jamais été une stratégie efficace. Comment pouvons-nous aller de l’avant ? Dans un premier temps, essayons de lever l’interdiction — et d’appliquer, à la place, une grande étiquette « ne pas boire » sur les bouteilles de poppers.

Références

  1. James JS. Viagra warning re “poppers” and notice re protease inhibitors. AIDS Treat News. 1998; (No 294):1.
  2. Lowry TP. Psychosexual aspects of the volatile nitrites. J Psychoactive Drugs. 1982; 14 (1–2):77–9.
  3. Gruener AM, Jeffries MAR, El Housseini Z, Whitefield L. Poppers maculopathy. Vol. 384, The Lancet. 2014. p. 1606.
  4. Rewbury R, Hughes E, Purbrick R, Prior S, Baron M. Poppers: Legal highs with questionable contents? A case series of poppers maculopathy. Br J Ophthalmol. 2017; 101 (11):1530–4.

Par Cameron Schwartz.

* Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que leur(s) auteur(s) et ne reflètent pas nécessairement les politiques ou les opinions de la CBRC ou de ses bailleurs de fonds.

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CBRC

À propos du CBRC

Le Centre de recherche communautaire (CBRC) promeut la santé des personnes issues de la diversité sexuelle et de genre par le biais de la recherche et du développement d’interventions.
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