Défier nos corps

Être devant un miroir n’est pas toujours agréable pour moi. Est-ce que cette chemise me grossit ? Devrais-je porter un chandail qui cache mes poignées d’amour ? Puis-je encore utiliser l’avant-dernier cran de ma ceinture, ou dois-je utiliser le dernier maintenant ? Ce ne sont que quelques-unes des questions qui me trottent dans la tête tous les matins. Pourquoi ces questions sont-elles si importantes pour moi ? Pourquoi leurs réponses me rendent-elles souvent frustré, stressé, anxieux et moche ? Suis-je le seul homme gai à me sentir comme ça ?

Au cours des deux dernières années, en travaillant à l’obtention d’un doctorat, ces questions étaient au cœur de mes recherches. J’ai découvert que je n’étais pas le seul homme gai à me sentir de cette façon. De nombreux hommes gais ressentent la même pression : ils doivent paraitre d’une certaine façon, avoir un corps parfait — un corps qui est souvent défini comme musclé, svelte, avec des pectoraux et aucune trace de gras. C’est ce type de corps qui est idéalisé pour de nombreux hommes gais. J’ai toujours rêvé de ressembler à ça, sans jamais vraiment croire que j’obtiendrais un jour ce corps.

Phillip Joy

Être gai et grandir dans un petit village de la Nouvelle-Écosse, c’était déjà difficile, mais entrer dans le monde homosexuel en étant gros, ce fut une seconde sortie du placard encore plus laborieuse. J’ai ressenti tellement d’attentes sociales me forçant à avoir un corps parfait dans ce milieu. Je me refusais même d’écouter le seul programme télévisé mettant en vedette des personnages gais, Queer as Folks, car ces normes de beauté y étaient reflétées. Ressentant constamment la pression de ressembler à ces individus, l’émission n’était pas divertissante pour moi. C’était plutôt un rappel que je n’étais pas aussi sexy que Brian ou Justin. Un rappel que mon corps était trop gros pour être attrayant.

Je suppose que mon attitude envers mon poids et mon corps est l’une des principales raisons pour laquelle j’ai choisi de faire mes recherches dans le domaine de la nourriture, du corps et de la santé des hommes gais. Je voulais donner du sens à mes expériences, comprendre pourquoi je rêvais tant de ce corps et, je l’espérais, trouver des résultats qui pourraient m’aider et aider d’autres hommes. Je devais donc regarder comment la société — et la culture gaie en particulier — façonne et influence ce que nous croyons et valorisons à propos de nos corps.

J’ai appris beaucoup de choses dans ces recherches sur la santé, tant dans la littérature qu’auprès des participants de mes recherches. Et, bien sûr, par mon expérience personnelle. Les recherches antérieures démontrent que le souci d’avoir un corps svelte et sans gras, que de ressentir une insatisfaction face à son corps et sa masse musculaire et que de subir un stress important pour atteindre les standards de beauté et de masculinité sont des facteurs qui influencent la santé des hommes queers. L’institut de médecine (2010), par exemple, rapporte qu’un jeune homme gai sur quatre utiliserait la restriction alimentaire, des méthodes de purges, ou des pilules afin de réduire son poids.  

Si nous parlons de ce sujet, nous devons nous rappeler que le fait d’être homosexuel ne cause pas en soi une insatisfaction corporelle, et que tous les hommes homosexuels ne subiront pas de conséquences néfastes sur leur santé à cause de leurs idéaux de beauté. Mais la santé de beaucoup d’hommes queers est influencée par ces attentes. Les troubles alimentaires, l’isolement social, l’angoisse, la solitude, la dépression, l’utilisation de stéroïdes ainsi que d’autres expériences négatives sur la santé ont tous été rapportés comme des conséquences de cette insatisfaction. Une autre étude démontre que les troubles alimentaires sont liés à la dépression et à l’utilisation de techniques visant à augmenter la masse musculaire chez les hommes assistant à Pride Toronto. (Brennan et al., 2011).

Les hommes qui ont participé à mes propres recherches ont également exprimé des conséquences similaires sur leur santé. Cependant, trop de recherches recommandent des traitements pour les individus — des programmes visant à modifier leurs comportements, leurs croyances ou leur personnalité. Le vieil adage « mangez moins, soyez actifs et pas de pain ! » résonne comme un mantra. Mais nos expériences, nos comportements et nos croyances sont formés par notre culture. Ne serait-il pas plus utile de comprendre comment notre société — incluant médias et médias sociaux, la télévision, les applications de rencontre, la pornographie et les modèles de constructions du genre — influence notre image corporelle ? Nous pourrions commencer à remettre en question et à dérégler certaines des normes sociales strictes dictant le physique idéal des hommes homosexuels.

Galerie d'art

J’ai demandé aux hommes participants à mes recherches de m’aider dans cette tâche en documentant leurs expériences grâce à la photographie. Ces images sont devenues les miroirs de leurs expériences et de leur culture. Elles ont été exposées pour une soirée à la galerie d’art 1313 à Halifax, Nouvelle-Écosse, ce qui a permis d’y réfléchir et de discuter des moyens d’améliorer les enjeux d’image de soi chez les hommes gais.

Ce fut une soirée riche en émotions pour les participants et pour le public. Beaucoup ont dit qu’il s’agissait d’un moyen puissant, stimulant et significatif pour discuter de cet enjeu ; en particulier des valeurs, des croyances et des pratiques liées à l’image, au corps et à la nourriture que les hommes croissent quotidiennement. L’un des participants a mentionné que l’exposition l’avait aidé à réfléchir sur des sujets concernant la nutrition et le mieux-être auxquels il n’avait jamais réfléchi auparavant. L’art peut être un outil puissant pour perturber les normes.

Améliorer la santé des hommes gais, c’est de remettre en question les normes d’image corporelle qui contribuent aux stéréotypes néfastes et à la stigmatisation de certains corps au sein de notre culture. Nous devons aller plus loin que simplement dire : « Célébrons la diversité et embrassons tous les corps », et faisons de la place pour tous les membres de notre communauté. Quant à moi, je lutte encore pour accepter mon corps comme il est, mais maintenant je réalise que je ne suis pas seul.

Références

Brennan, D. J., Crath, R., Hart, T. A., Gadalla, T., & Gillis, L. (2011). Body dissatisfaction and disordered eating among men who have sex with men in Canada. International Journal of Men’s Health, 10(3), 253.

Institute of Medicine. (2010). The Health of Lesbian, Gay, Bisexual, and Transgender People: Building a Foundation for Better Understanding. Washington, DC: The National Academies Press.

Par Philip Joy.

* Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que leur(s) auteur(s) et ne reflètent pas nécessairement les politiques ou les opinions de la CBRC ou de ses bailleurs de fonds.

Available in English.

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Le Centre de recherche communautaire (CBRC) promeut la santé des personnes issues de la diversité sexuelle et de genre par le biais de la recherche et du développement d’interventions.
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