La majorité de la population canadienne considère que la consommation de cannabis est plutôt ou entièrement acceptable1, mais la recherche sur la consommation de cannabis continue de stigmatiser certains groupes, dont les femmes lesbiennes, bisexuelles, queer et trans (LBTQ). Les femmes LBTQ qui consomment du cannabis sont souvent dépeintes comme manquant d’autonomie et leur consommation de cannabis est considérée comme quelque chose de néfaste. Notre recherche dresse un tableau différent.
Pour avoir une meilleure idée de l’impact de la consommation de cannabis sur les expériences des femmes LBTQ, j’ai travaillé avec de jeunes LGBTQIA+ (âgées de 15 à 24 ans) au Québec. Plutôt que de limiter les participantes à des questions d’enquête spécifiques, nous leur avons demandé de parler de leurs expériences en matière d’identité, de santé mentale et de consommation de cannabis en prenant des photos.
Hind, 20 ans : « Depuis que j’ai commencé à fumer, j’ai pris beaucoup de distance par rapport à la personne que j’étais avant de venir au Canada et à l’effort que je faisais pour me conformer à ces normes. J’ai commencé à sentir que cette robe ne me représentait pas et que c’était quelqu’un d’autre qui la portait. Cela avait beaucoup à voir avec mon questionnement sur ma sexualité et mon expression de genre. »
La créativité et la résistance de nombreuses femmes LBTQ comme Hind, une femme cis et queer de 20 ans, témoignent des aspects potentiellement transformateurs de la consommation de cannabis, que ce soit la résistance à la féminité stéréotypée ou l’expérimentation au niveau des normes et de l’expression de genre. Contrairement à de nombreuses études qui ne s’intéressent qu’aux méfaits du cannabis, nos résultats suggèrent que les femmes LBTQ consomment du cannabis pour diverses raisons, notamment pour contester les normes, mais aussi pour développer des solutions créatives afin de gérer les traumatismes vécus.
J’espère que ces résultats permettront de mieux comprendre les expériences des femmes LBTQ en matière de consommation de substances, de santé mentale et d’oppression.
Bien sûr, il n’est pas surprenant que les jeunes femmes LBTQ rapportent des niveaux élevés de défis en santé mentale et de consommation de substances. Lorsque nous nous promenons dans le Village gai de Montréal en tant que femmes LBTQ, les bars, les boutiques et les saunas sollicitent tous une clientèle masculine, ce qui provoque un sentiment d’invisibilité. À ceci s’ajoutent d’autres facteurs de stress minoritaire comme la discrimination, le harcèlement et la dissimulation. Pour gérer ces expériences négatives, de nombreuses jeunes femmes LBTQ se tournent vers la consommation. Ce stress minoritaire vient aggraver les expériences de sexisme et les expériences quasi inévitables de harcèlement sexuel au cours de notre vie.
Alexis, 21 : « Je suis poursuivie pour diffamation parce que j’ai dénoncé la personne qui m’a agressée. Je pense que l’art et le pot me sont une façon de gérer ce traumatisme. »
Lorsque nous produisons des recherches reflétant les perspectives et les expériences des femmes LBTQ, il est important de reconnaître ces facteurs de stress, mais aussi l’agentivité des participantes. La recherche participative — qui engage les participant·e·s en tant que collaborateur·rice·s — nous permet de recadrer et de repenser la manière dont nous produisons les connaissances. Grâce à ces méthodes, nous pouvons éviter la victimisation et le paternalisme et mettre le vécu des femmes LBTQ au premier plan.
Même si je lutte contre l’invisibilité des réalités féminines queer, lesbiennes et bisexuelles, je suis fière de la force et de la résilience des femmes LBTQ qui m’entourent, surtout si l’on considère notre accès limité à des ressources psychologiques et sociales adaptées et dirigées par des femmes queer. En menant nos recherches en partenariat avec des femmes LBTQ, nous pouvons faire entendre ces voix qui sont trop souvent mises de côté.
Je pense que je ne cesserai jamais de dire que nous avons besoin de plus de femmes queer, bis et lesbiennes comme sujets et productrices de recherche. Nous devons continuer à recadrer les discussions sur la santé mentale et l’identité sexuelle et de genre afin de transformer les sentiments accrus de honte, de désespoir et d’isolement en résilience et en fierté. Dans cette optique, j’espère que nous saurons encourager et créer davantage d’espaces de partage, d’autonomisation, d’aide et d’attention sans stigmatisation, car ces derniers demeurent rares.
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Par Tara Chanady
Tara Chanady est chercheuse postdoctorale au sein de Qollab, un laboratoire de recherche participative sur la santé mentale et la consommation de substances chez les personnes 2S/LGBTIA+. La sensibilisation aux réalités des femmes LBTQ a toujours été au premier plan de son travail de recherche, y compris ses recherches récentes sur la consommation de cannabis et la santé mentale.