Ne rien dire : Traumatisme, divulgation du VIH et mon expérience noire

Il est difficile de s’asseoir afin d’écrire ces lignes. C’est aussi difficile que je l’imaginais. Le fait de parler du VIH a toujours été un déclencheur pour moi, comme pour de nombreux autres Canadien·ne·s d’origine africaine, caribéenne et noire (ACB). Beaucoup d’entre nous évoluent dans une culture où la stigmatisation du VIH est omniprésente. Ma première expérience de stigmatisation a eu lieu avant même que je sache ce qu’était le VIH ou le sexe. Dans un élan de cruauté, un de mes voisins n’avait pas hésité à instrumentaliser le fait que ma mère avait fréquenté une personne décédée du sida, et la stigmatisation découlant de ce fait est devenue un fardeau pour ma mère et ses enfants. Alors, écrire cet essai sur ma relation avec le VIH et sur la façon dont mon expérience d’homme noir, gai et immigrant a façonné cette dernière est, comme vous pouvez l’imaginer, chose difficile.

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Je n’ai jamais dévoilé ma séropositivité publiquement, du moins pas de manière tangible. Même pas à ma famille. Je suppose que c’est pour cela que j’ai eu du mal à décider si je devais ou non inclure mon nom de famille ou même ma photo dans cet essai. Bien sûr, il y a eu certaines situations avec des publics triés sur le volet dans lesquelles je me suis senti à l’aise de divulguer mon statut sérologique. Cependant, cela se passe généralement après avoir évalué le risque associé au fait de divulguer ma séropositivité à une personne ou un groupe particulier. Telle était la nature de ma relation avec le VIH : je me cachais toujours, ou bien je choisissais de dévoiler mon statut dans des espaces et avec des personnes que je jugeais sécuritaires. Une lutte constante avec ma propre stigmatisation intériorisée.

En vieillissant et en m’appropriant mon identité noire et ma masculinité, je réalise de plus en plus que je ne suis pas seul. Les traumatismes liés au VIH empêchent de nombreux·ses Canadien·ne·s ACB de vivre leur vérité authentique. Nous cachons notre statut sérologique aux membres de notre famille, à nos partenaires potentiel·le·s et parfois même à nous-mêmes. Et malgré toutes ces pressions internes, j’ai décidé qu’il était important de partager mes pensées et mes expériences et de ne plus marginaliser mon vécu. Mon vécu fait partie de moi, tout comme mon statut fait partie de moi.

Mon histoire est comme n’importe quelle autre histoire, elle est complexe et ponctuée de plusieurs intersections qui ont fait de mon identité ce qu’elle est. Le VIH n’est qu’une composante de cette histoire. Il s’agit simplement d’une seule partie de l’individu que je suis, et j’ai pourtant passé les six dernières années à Toronto à mettre de la distance entre moi et le VIH. L’effacement personnel de cette partie de ma vie a absolument et malheureusement alimenté le silence qui règne sur le paysage actuel du VIH au Canada — un paysage où l’ensemble des personnes noires sont dépeintes de la même façon. Comme si nous partagions tous le même vécu. Il est important pour moi de me défaire de ce carcan et de dresser un portrait plus nuancé de la relation qu’entretiennent les Canadien·ne·s noir·e·s avec le VIH.

En tant que jeune homme gai et noir vivant avec le VIH et arrivé au Canada en tant que réfugié, le VIH est plus qu’un simple virus à mes yeux. C’est un terrain obscur et difficile à définir que je dois naviguer dans des contextes sociaux qui ont aussi des implications juridiques et politiques. Ce que cela signifie pour moi, c’est que j’ai une peur constante d’être rejeté ou de faire l’objet de discrimination. Peur d’être arrêté pour ne pas avoir divulgué mon statut. Peur que la personne que je fréquente me rejette si elle apprend que je suis séropositif, ou que l’on me refuse un emploi ou mon inscription dans un programme de maîtrise si mon statut est révélé. Le fait d’être confronté au VIH m’a souvent privé de mon autonomie d’aimer et de partager un espace avec des partenaires et des ami·e·s potentiel·le·s aussi librement et ouvertement que je le voudrais, car j’ai souvent l’impression que l’alternative la plus sûre à la divulgation est le silence et l’isolement.

Après avoir reçu mon diagnostic de séropositivité dans le cadre de mon processus d’obtention du statut de réfugié, ma priorité a été de chercher une communauté. Je suis parti en quête d’une communauté d’individus séropositifs queer et noirs, mais j’ai constaté qu’il n’y en avait pas. Malheureusement, même si nous supportons de manière disproportionnée le poids des nouveaux cas de séropositivité, beaucoup d’entre nous vivent cela en silence. Beaucoup d’entre nous ont intériorisé toutes les remarques désobligeantes que nous avons entendues à propos des personnes vivant avec le VIH au fil des ans. Cela nous a isolé·e·s les un·e·s des autres et nous a obligé·e·s à naviguer ce terrain par nous-mêmes avec très peu d’aide de la part de notre famille, de nos ami·e·s ou de nos proches.

Les soins de santé liés au VIH, bien qu’ils aient été conçus pour répondre à nos besoins, sont incapables de le faire parce que nous sommes aussi incapables de le faire. Nous sommes incapables de guérir de la stigmatisation du VIH que nous avons intériorisée. Que vous soyez une personne séropositive ou non, le VIH fait partie de tous nos récits; il nous relie. Ce lien qui nous lie tous au VIH est une raison suffisante pour que la communauté queer ACB entame un processus de guérison collective. Il est temps de rejeter le stéréotype qui affirme que les personnes vivant avec le VIH sont sales. Il est temps de se défaire de toute cette douleur engendrée par la stigmatisation et de nous pardonner pour les fois où nous avons instrumentalisé le VIH les un·e·s contre les autres. J’ai personnellement entrepris un parcours de guérison pour me rétablir physiquement, mentalement et émotionnellement du mal qui m’a été fait. Le mal que nous infligeons lorsque nous instrumentalisons le VIH les un·e·s contre les autres résonne au sein des générations. Il est temps pour nous de mettre fin à la stigmatisation du VIH, du moins pour les générations futures si ce n’est pour nous-mêmes.

Je travaille encore à me libérer de nombreux traumatismes liés au VIH, mais pour être honnête, le fait d’avoir été appris ma séropositivité m’a donné du pouvoir. On m’a encouragé à écrire mon propre récit et à profiter de l’occasion pour partager ma vérité. Mais cela n’a pas été facile. Je négocie constamment le degré d’ouverture dont je dois faire preuve à propos de mon vécu afin de protéger ma sécurité et celle de ma famille contre les personnes qui continuent d’instrumentaliser le VIH pour nous stigmatiser et faire preuve de discrimination à notre égard. Je ne pense pas parvenir à me défaire de cette peur, mais continuer à me cacher dans l’ombre me semble encore plus dangereux.

Écrire cette histoire m’a permis d’affronter cette peur qui m’a si longtemps affligé, et pour la première fois, je peux dire fièrement que je suis un homme noir gai qui est séropositif et indétectable et affirmer que vous n’êtes pas plus propre que moi. Je mène une vie équilibrée et saine, fondée sur les traditions de mes ancêtres, et je suis fier du travail que je fais pour me guérir physiquement et émotionnellement. Je souhaite que tout le monde puisse effectuer le même parcours de guérison afin d’aimer les personnes que nous sommes vraiment.

Par Jermane

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Le Centre de recherche communautaire (CBRC) promeut la santé des personnes issues de la diversité sexuelle et de genre par le biais de la recherche et du développement d’interventions.
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