Témoignages sur la variole simienne : « une cruelle coïncidence »

Mise en garde : Ces témoignages sont l’expérience personnelle de personnes ayant été infectées par la variole simienne. Ils contiennent des descriptions choquantes des symptômes physiques et mentaux dont ces personnes ont souffert. La lecture de ces témoignages peut être dérangeante.


Photo_Gregory_F.jpgGregory F

Lorsque j’ai entendu parler de la variole simienne sur Internet, j’ai roulé les yeux et je me suis dit : « Génial! Une nouvelle raison d’avoir peur. »

J’avais déjà pas mal de pain sur la planche; je me rétablissais de ma première infection à la COVID quelques mois auparavant et je me préparais à déménager à l’autre bout du pays. Après six ans passés en Colombie-Britannique, j’avais hâte de revenir à Montréal. Je ne voulais pas avoir à m’inquiéter d’un nouveau virus. Au bout de quelques semaines, en apprenant que la variole touchait principalement la communauté queer, particulièrement celle de Montréal, j’en suis venu à la conclusion que vaudrait mieux me faire vacciner.

Je me suis rendu à la pharmacie et à la clinique en Colombie-Britannique, et personne ne semblait au courant de la situation. Aux deux endroits, on ignorait où je pouvais recevoir un vaccin. Alors, j’ai décidé d’attendre d’être à Montréal pour me faire vacciner. Une fois arrivé, j’ai pris le temps de renouer avec mes amitiés de longue date et de m’acclimater à nouveau à la ville. Au bout de deux semaines, je suis allé me faire vacciner, en me croyant toujours prévoyant. Par contre, sans le savoir, j’avais déjà contracté le virus une semaine plus tôt.

À un certain moment, j’ai remarqué quelques taches sur ma main gauche et je me suis dit qu’il s’agissait de piqûres d’insectes, puisque je dormais avec les fenêtres ouvertes. J’ai reçu le vaccin le 19 juillet et le lendemain, je me sentais vraiment mal, avec des maux de tête, des courbatures et le bras extrêmement endolori. Je suis resté cloué sur le sofa pendant trois jours, jetant le blâme sur les effets secondaires du vaccin. Le 22 juillet, j’ai commencé à avoir des douleurs au rectum, que je pensais dues aux hémorroïdes, mais la situation est rapidement devenue bien plus pénible à mesure que l’éruption se répandait. Je ne pouvais pratiquement plus aller aux toilettes.

Tous les autres symptômes ont disparu assez rapidement, mais ont été remplacés, du jour au lendemain, par toute une série de nouvelles lésions corporelles apparentes. J’avais des taches rouges le long de mes deux jambes, sur le dessus de mes pieds, sur la plante de mon pied gauche; j’en avais deux sur la paume de chaque main, une sur mon oreille gauche, et j’en avais un peu partout dans mon dos et sur mes fesses. C’était clair que j’avais la variole et j’ai commencé mon confinement sur-le-champ.

J’étais désorienté. La chronologie des événements était floue et le fait d’avoir reçu le vaccin quelques jours avant le début de mes symptômes me semblait une coïncidence cruelle.

Ma déception était énorme, car j’avais prévu un grand voyage sur la côte est avec mes ami·e·s gai·e·s les plus proches pour rendre visite à des membres de nos familles. J’ai dû tout annuler et rester ici alors que le voyage s’est fait sans moi. Soudain, les trois personnes sur lesquelles je comptais le plus n’étaient pas en ville et je me suis retrouvé seul à la maison avec une maladie étrange. De plus, je venais d’arriver à Montréal, c’était l’été, la Fierté arrivait à grands pas et je savais que je serais isolé et seul pour un bon moment. Comme je suis artiste et praticien du travail corporel à mon compte, que je donne des massages et pratique le reiki pour gagner ma vie, je me suis retrouvé tout d’un coup sans aucune source de revenus.

À ce stade, c’était presque impossible pour moi d’aller aux toilettes; c’était si douloureux que j’agonisais. J’ai commencé à avoir peur et à me demander ce que je devais faire. Devais-je me rendre à l’hôpital? Passer un test? Je ne connaissais pas les directives, car je ne trouvais pratiquement aucune information sur le sujet. Je redoutais le processus de dépistage, ne voulant pas être stigmatisé et blâmé par le personnel de la santé, comme cela fut déjà le cas pour d’autres personnes. Je craignais d’infecter des gens en quittant la maison et en prenant le métro. J’aurais aimé parler à des professionnel·le·s de la santé qui comprennent ce qui se passait dans mon corps sans me juger. En fin de compte, j’ai décidé de me soigner moi-même.

J’ai commencé à me renseigner sur tout ce qui concernait le virus et je suis tombé sur igotmpox.com, un site conçu par Len, une personne queer de Toronto. Je me suis reconnu dans sa façon de partager l’information; j’étais rassuré, renseigné et je me sentais moins seul. J’ai contacté Len pour lui poser des questions sur ses trousses de soins pour les lésions. Iel était justement à Montréal et venait de se remettre de la variole. Iel est venu chez moi pour m’apprendre à utiliser la trousse et soigner mes lésions. Ce fut un moment de tendresse queer dont je vais chérir le souvenir.

J’ai été inspiré à partager quotidiennement mon expérience en direct sur Instagram afin de contribuer à donner un visage à la maladie. Être vulnérable et franc à propos de ce que je vivais s’est avéré incroyablement réconfortant. J’ai rassemblé des liens sur un Linktr.ee pour que les gens qui se sentent interpellés puissent faire des dons par PayPal. J’ai également créé une liste de souhaits sur Amazon pour permettre aux gens de m’envoyer des sels de bain, de la nourriture, des suppléments, du thé et d’autres denrées utiles. J’ai été vraiment étonné par la vague de soutien et d’amour que j’ai reçue et je me suis immédiatement senti réconforté.

D’autres personnes ayant contracté la variole ont communiqué avec moi et certaines des histoires qu’on m’a racontées étaient terribles et bien pires que la mienne. Je me considère chanceux d’avoir eu des lésions moins profondes ou douloureuses que celles d’autres personnes. Je ne sais pas si le vaccin que j’ai reçu peu de temps après avoir contracté le virus y est pour quelque chose. Je me suis posé bien des questions durant cette période et plusieurs de celles-ci demeurent sans réponse. Les données sont pour le moment inexistantes, donc on n’a pas de réponses concrètes à des questions en apparence simples. J’espère que la situation va évoluer avec le temps.

Les journées passées en confinement ont été étranges et longues. Il faisait chaud dehors, c’était l’été, en pleine Fierté gaie, et j’étais isolé. Je me suis senti exclu de ma communauté et, franchement, de l’humanité au grand complet. J’ai tenté tant bien que mal d’éviter les médias sociaux, sachant que ma capacité à m’apitoyer sur mon sort peut devenir particulièrement importante lorsque je suis seul et que je défile sans arrêt. Voir tout le monde s’entasser lors des événements de la Fierté me faisait peur. Je sais que plusieurs personnes avaient déjà été vaccinées et que beaucoup d’autres allaient recevoir leur vaccin au cours du week-end, mais je ne pouvais pas m’empêcher d’être un peu effrayé par le fait que la variole se propageait à coup sûr.

Même si j’ai eu une forme beaucoup moins « intense » de la maladie, mon expérience a été incroyablement douloureuse et effrayante. J’ai peur pour les gens et pour l’avenir, car nous serons de plus en plus de personnes touchées et ce ne sera pas beau à voir. Je vois des mèmes de blagues sur le sujet, certains provenant de personnes antivax et d’autres de membres de la communauté 2SLGBTQ+ et ça me frustre, car j’ai l’impression que les gens, sans doute par peur, prennent ça à la légère alors que ce n’est pas une blague.

L’éruption sur mon rectum s’est rétablie après environ six jours atroces. La plupart de mes lésions corporelles sont guéries et une nouvelle peau saine commence à se former, mais je suis convaincu que j’aurai des cicatrices à plusieurs endroits. Les points rouges demeurent et, honnêtement, j’appréhende que les gens les voient lorsque je pourrai enfin sortir de chez moi. Je ne sais pas trop à quoi ressemblera ma vie amoureuse pendant un certain temps, les protocoles à suivre pour les contacts et la réintégration sont flous. Je ne sais même pas quand je pourrai recommencer à travailler. Je me demande si les gens auront des préjugés si je divulgue que j’ai eu une infection. Les gens me posent déjà des tas de questions et, franchement, je n’ai pas de réponses à la majorité d’entre elles. J’invite les gens à se renseigner, à se tenir au fait des nouvelles et de la science, et à apprendre à se protéger.

Je ne suis pas heureux d’avoir contracté la variole. Cette maladie a gâché mes projets d’été et mon retour à Montréal. Mais, d’une certaine manière, je suis soulagé et je ressens une sorte de gratitude d’être vacciné et d’avoir passé à travers l’infection. J’y vois quand même de bons côtés; j’ai repris contact avec moi-même en quelque sorte, je ressens de l’humilité et de l’empathie vis-à-vis les personnes qui contractent la maladie. D’après l’information que j’ai, je vais bientôt pouvoir retourner dans le « vrai monde ». Mais je me sens vulnérable, nerveux et je me pose encore mille questions.

Pour l’instant, je vis au jour le jour. Je crois que cette expérience a été traumatique tant pour mon corps que mon esprit et je continue à en ressentir les effets. J’espère que nous saurons nous soutenir mutuellement pendant cette période, avec empathie et bienveillance.

Gregory F. est un artiste et un praticien de travail corporel qui vit à Montréal.

Pour de plus amples informations sur la variole simienne, sur les façons de vous protéger et de prendre soin de vous, cliquez ici.

[Le CBRC a invité des personnes qui ont souffert de la variole simienne à nous faire partager leur expérience, en espérant réduire la stigmatisation associée à la maladie et permettre la circulation d’information de première main au sein de nos communautés. Nous savons que ce qui est fait actuellement pour soutenir les personnes qui contractent la variole simienne n’est pas assez. Nous tenons à remercier ces personnes qui ont accepté de nous raconter leur histoire publiquement et à souligner leur courage.]

Available in English.

CBRC

À propos de CBRC

Le Centre de recherche communautaire (CBRC) promeut la santé des personnes issues de la diversité sexuelle et de genre par le biais de la recherche et du développement d’interventions.
Témoignages sur la variole simienne : « une cruelle coïncidence »
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