La militante trans Céleste Trianon s’exprime sur le Rapport du Comité de sages sur l’identité de genre, un document québécois controversé

Depuis l’annonce par le gouvernement du Québec de la formation d’un Comité de sages sur l’identité de genre en 2023, ce comité, qui ne compte aucun membre de la communauté 2S/LGBTQIA+, suscite la controverse. Chargé d’examiner les questions d’expression de genre et de reconnaissance de la diversité des genres dans la province, le groupe a déposé un rapport de 280 pages en mai dernier. Nombre de ses conclusions et recommandations ont été contestées par plusieurs groupes, dont le Conseil québécois LGBT et les organismes québécois de défense des droits des personnes trans, notamment Aide aux Trans du Québec

Les nombreuses recommandations formulées tout au long du rapport touchent directement la vie des personnes trans du Québec : certaines sont positives, tandis que d’autres sont au mieux infondées et, au pire, franchement nuisibles. Parmi les propositions les plus positives, mentionnons la recommandation d’un meilleur accès aux soins de santé pour les personnes trans, celle d’un soutien gouvernemental aux associations sportives désirant créer des programmes mixtes (tout en conservant les programmes genrés existants) et la mise à disposition de toilettes mixtes et non mixtes dans les espaces publics. 

Par ailleurs, d’autres recommandations sont biaisées, nuisibles et fondées sur de la pseudoscience; ces dernières risquent de causer de réels préjudices aux personnes trans, et en particulier aux femmes trans, en les pathologisant ou en les marginalisant. Par exemple, le rapport recommande d’héberger les personnes trans incarcérées selon leur identité de genre, mais seulement après qu’une équipe de spécialistes a confirmé la « sincérité » de leur transition. De plus, il mentionne fréquemment la nécessité de recherches supplémentaires sur des enjeux clés, et plusieurs de ses recommandations risquent d’avoir des répercussions négatives sur la vie des femmes trans.

Fondatrice de l’organisme de services juridiques pro bono Juritrans, Céleste Trianon bénéficie depuis longtemps d’une grande visibilité au Québec et dans le reste du Canada en tant qu’ardente défenseuse des droits des personnes trans. Le CBRC s’est entretenu avec elle pour recueillir son avis d’experte sur le Comité de sages et son rapport.

Tout d’abord, nous aimerions connaître votre opinion sur la composition du Comité de sages sur l’identité de genre, dont les membres ne sont pas issu·e·s de la communauté 2S/LGBTQIA+. Est-ce que la contribution des membres de notre communauté, et en particulier celle des personnes trans, à ce genre de comité est rare? Existe-t-il des comités de ce type au Canada qui incluent et représentent véritablement les personnes trans dans leur travail de rédaction de rapports et de recommandations?

La participation des personnes trans n’a jamais été la règle au Canada, mais plutôt l’exception. Elles sont généralement considérées comme objet d’analyse plutôt que comme sujet actif ayant des droits, comme personne à part entière. Lorsqu’on examine les récentes batailles législatives pour les droits des personnes trans au Québec, il est rare que celles-ci soient incluses dans le processus décisionnel sans avoir à se battre pour cela et à exiger leur juste place. C’est vrai tant pour ce type de comité que pour d’autres instances publiques, telles que les commissions consultatives parlementaires. Les personnes trans n’ont jamais été autorisées à être « maîtres chez elles », à décider des politiques qui concernent leur corps, sauf dans de rares cas. La création du Comité de sages en est l’exemple type ici au Québec, mais on observe le même phénomène ailleurs dans le monde dès que des gouvernements hostiles aux personnes trans décident de mener des recherches sur ces dernières – que ce soit le rapport du Conseil des médecins de Floride, le rapport du HHS ou le rapport Cass.

Quel est votre avis global sur le rapport de 280 pages publié par le Comité? Est-ce que ses aspects négatifs annulent les recommandations positives ou utiles? 

Bien que le rapport dresse un portrait réaliste des enjeux trans à plusieurs égards, notamment en ce qui concerne la discrimination juridique et l’inégalité d’accès à différents aspects de la vie quotidienne, son apport bénéfique est anéanti par des arguments qui semblent tirés des profondeurs de l’activisme anti-trans. De la pseudoscience et de vraies recherches scientifiques sont présentées côte à côte comme des « théories concurrentes ». Pour cette raison précise, on peut dire que le rapport est irrécupérable : il légitimise des points de vue anti-trans malgré leur nature fondamentalement déshumanisante.

Quelle est, selon vous, la conséquence potentielle la plus négative de ce rapport et de ses recommandations? Quels en sont les aspects les plus positifs, s’il y en a?

Je dirais que tout ce qui concerne les femmes trans est négatif. Le rapport prive les femmes trans de leur genre même, en les séparant artificiellement des femmes cisgenres (non trans) et en affirmant que les droits des femmes cis sont menacés par les droits des femmes trans. Ce discours est totalement fallacieux, comme nous l’a montré l’histoire à plusieurs reprises. Par exemple, quand les assemblées législatives s’attaquent au droit à l’avortement, elle cible presque toujours du même coup les soins d’affirmation de genre, et vice versa, car ce sont deux formes de soins de santé qui relèvent de l’autonomie corporelle. Le rapport a déjà eu des répercussions importantes sur la société québécoise, notamment en donnant lieu à la nouvelle « politique prison » québécoise qui soumet les femmes trans incarcérées à des traitements déshumanisants, cruels et inusités.

Une bonne partie du rapport suggère également qu’il est nécessaire de mener des recherches supplémentaires sur plusieurs des sujets abordés. À votre connaissance, dans quelle mesure des groupes tels que Aide aux Trans du Québec et des membres de la communauté 2S/LGBTQIA+ ont-ils été consultés et leurs points de vue inclus dans le rapport? Est-ce que vous ou des personnes avec qui vous travaillez avez été contactées pendant le processus?

Même si des groupes communautaires ont été consultés, le Comité n’a apparemment guère donné de poids à leur expertise. J’ai été consultée par l’intermédiaire de Juritrans, l’organisme que j’ai fondé, et j’ai parlé de certaines questions relatives à l’accès à la justice, mais celles-ci sont à peine abordées dans le rapport.

D’après vous, quels sont les enjeux les plus urgents qui touchent la communauté trans au Québec? Dans quelle mesure le rapport aborde-t-il ces enjeux, le cas échéant?

L’accès aux soins de santé, au logement et à l’emploi. Je constate trop fréquemment que la pauvreté crée un espace de marginalisation. La communauté trans québécoise subit encore très souvent de la discrimination socioéconomique – un emploi refusé à cause d’une identité trans, de multiples renvois entre prestataires de soins de santé avant d’accéder à l’hormonothérapie, etc. Même si la discrimination fondée sur l’identité de genre est illégale depuis 1998 au Québec, il semble que le message n’a pas encore été compris par bien des gens…

En ce qui concerne les détenu·e·s trans, le rapport suggère la formation d’une équipe interdisciplinaire chargée de déterminer la « sincérité » de la transition d’une personne lors du choix du lieu de détention. Que pensez-vous de cette partie du rapport? Existe-t-il des indications sur la composition d’une telle équipe interdisciplinaire ou sur son processus de création?

Comme toutes les fois où l’on demande à des professionnel·le·s de la santé de « confirmer » l’identité trans de quelqu’un, il n’y a ultimement que la personne concernée qui puisse le faire. Malheureusement, les institutions ont du mal à accepter cette idée. Cela dit, si le tout s’exerce dans le respect de la dignité de la personne détenue, a priori, je ne vois pas de problème avec ça.

De toute façon, ce principe de « sincérité de la transition » a été rejeté par le ministre de la Sécurité publique, M. François Bonnardel, et c’est finalement une politique fondée sur le sexe anatomique des personnes détenues qui a été adoptée pour déterminer l’établissement de détention des personnes trans. Cette décision bafoue complètement les droits desdites personnes détenues.

Le dévoilement de ce rapport a donné lieu à une manifestation à Québec, où des membres de la communauté trans se sont vu non seulement refuser l’accès à la salle où se déroulait la présentation, mais ont également été expulsées du bâtiment par la police. En quoi un tel incident nuit-il à la relation entre le Comité et la population qu’il a été créé pour étudier et, peut-on supposer, protéger? Et aujourd’hui, comment ces relations peuvent-elles être réparées?

Étant donné que la communauté revendique la dissolution de ce comité depuis son annonce en septembre 2023, puis sa formation en décembre de la même année, on peut dire que ces liens n’ont jamais existé. De plus, le Conseil québécois LGBT, le principal représentant des communautés et organismes 2S/LGBTQ+ auprès du Comité, a été trahi; le Comité lui a fait de fausses promesses. À mon avis, ces liens sont irréparables, et la CAQ a montré de manière irréversible qu’elle ne faisait preuve d’aucune bonne foi à l’égard des communautés queers.

Quelle serait, selon vous, la meilleure voie à suivre pour aller de l’avant après la publication du rapport du Comité?

Honnêtement, à ce stade, il faut jeter ce rapport aux poubelles! On doit plutôt faire appel aux spécialistes, c’est-à-dire aux personnes trans et à leurs allié·e·s, qui ont toujours été là au Québec. Le principe de base doit être l’autodétermination de nos communautés. Lorsque les personnes trans disent qu’elles sont les expertes de leur réalité, c’est la vérité. Il faut commencer par reconnaître les savoirs expérientiels des personnes trans et privilégier cette forme d’expertise. Le Québec a quand même été pendant longtemps à l’avant-garde des droits des personnes queers (ou au moins, LGBQ+). Pourquoi ne pourrions-nous pas retourner à cette attitude avant-gardiste? Je pense que c’est possible!

 

Céleste Trianon est une juriste et militante transféminine. Elle a fondé le collectif Juritrans, un organisme de services juridiques communautaires à but non lucratif basé à Montréal, qui a aidé plus d’un millier de personnes trans issues de nombreuses régions à accéder à des services juridiques.

La conférence principale qu’elle donnée dans le cadre du Sommet 2024 peut être visionnée ici : Les personnes trans, la loi et l’avenir trans.

Available in English.

CBRC

À propos du CBRC

Le Centre de recherche communautaire (CBRC) promeut la santé des personnes issues de la diversité sexuelle et de genre par le biais de la recherche et du développement d’interventions.
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