En tant que personnes 2S/LGBTQ+, nous nous tournons souvent vers le passé pour mieux comprendre notre présent. Cette année cependant, nous assistons à quelque chose de totalement nouveau et sans précédent : la volonté d’invoquer la clause dérogatoire pour bafouer les droits des jeunes de diverses identités de genre.
Il n’en a pas toujours été ainsi
Par le passé, la classe politique conservatrice n’a jamais été une alliée de la lutte pour la libération des personnes 2S/LGBTQ+. Il y avait toutefois une limite aux actions que la droite était prête à entreprendre pour entraver nos efforts.
Prenons l’exemple de l’affaire Vriend c. Alberta, qui date des années 1990, et dans laquelle un professeur homosexuel avait poursuivi son employeur qui l’avait licencié en raison de son orientation sexuelle. Bien que le tribunal de première instance eût statué en sa faveur, la cour d’appel avait estimé que le gouvernement provincial avait explicitement refusé d’inclure l’orientation sexuelle parmi les motifs de distinction illicites dans sa législation, et que M. Vriend pouvait donc légalement être licencié en raison de son homosexualité.
Vriend avait fait appel de cette décision devant la Cour suprême du Canada, qui avait estimé que l’omission par la province de l’orientation sexuelle en tant que catégorie protégée violait les droits à l’égalité de la Charte, article 15.
Même s’il en avait le pouvoir, le premier ministre de l’Alberta de l’époque, Ralph Klein, avait refusé d’invoquer la clause dérogatoire pour empêcher l’entrée en vigueur de la décision. Il était même allé jusqu’à condamner des manifestant·e·s homophobes pour leur démonstration de haine. Bien que n’étant pas un ami des personnes queers et trans, le dirigeant conservateur avait estimé qu’il aurait été trop clivant et radical de bafouer explicitement les droits de notre communauté.
Les droits des personnes trans en territoire inconnu
Les politiciens conservateurs respectaient autrefois les décisions des tribunaux, même quand ça leur déplaisait, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Malgré une jurisprudence constante et l’existence de lois antidiscriminatoires explicites qui protègent les personnes trans dans toutes les régions du Canada, la classe politique de droite semble plus disposée que jamais à attiser les flammes du populisme antitrans pour gagner des points.
Par exemple, l’ancienne première ministre du Manitoba, Heather Stefanson, a cherché à rallier sa base en refusant d’intervenir dans la décision prise par un conseil scolaire d’interdire les contenus 2S/LGBTQ+ dans les bibliothèques de la province. Le ministre de l’Éducation du Québec a récemment déclaré qu’il refusait de voir apparaître des toilettes mixtes à plusieurs cubicules dans les écoles de sa province.
Le premier ministre Blaine Higgs a annoncé que le Nouveau-Brunswick adopterait une politique qui, selon certaines personnes, entraînerait la divulgation non volontaire de l’identité de genre des élèves trans et non binaires à leurs parents, tandis que le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, a comparé la protection des jeunes trans à de l’endoctrinement par les conseils scolaires. Le chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre, a quant à lui développé le discours de panique morale qui se cachait derrière le commentaire de Doug Ford.
Toutes ces attaques ont mené à la politique la plus ouvertement transphobe qu’on ait connue depuis des décennies : le premier ministre de la Saskatchewan, Scott Moe, a préventivement invoqué la clause dérogatoire de la Charte pour empêcher tout examen judiciaire d’un projet de loi similaire à celui du Nouveau-Brunswick.
Si d’autres provinces font de même, ce qui n’est pas impossible étant donné le soutien apparent du public à de telles politiques, la clause dérogatoire risque de devenir un outil couramment utilisé par les gouvernements de droite qui cherchent à imposer leurs croyances aux jeunes trans et à leurs familles.
En cette période critique pour les droits des personnes trans au Canada, il est plus important que jamais que les membres de la communauté 2S/LGBTQ+ et leurs allié·e·s s’élèvent contre ces mesures. Sinon, nous continuerons sur cette voie sans issue, et les plus vulnérables d’entre nous en paieront le prix.
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Cet article de blogue est adapté d’un texte précédent signé par Francesco MacAllister-Caruso, spécialiste du contenu francophone au CBRC, et publié dans Policy Options. L’article original en anglais peut être consulté dans son intégralité ici.