Le cercle de la stigmatisation du VIH

Je dis à tous ceux qui veulent m’écouter que tous les problèmes compliqués liés au VIH étaient causés par la stigmatisation. Je crois que la persistance du virus au sein de notre communauté peut être atténuée si nous nous efforçons davantage de changer notre attitude face au VIH, de mieux nous renseigner à son sujet et de réduire l’impact de la stigmatisation liée au VIH.

En tant qu’homme gai vivant avec le VIH depuis près de 20 ans, j’ai connu énormément de stigmatisation liée au VIH. Même si je la sens dans mon cœur (que j’ai parfois sur la main), j’ai de la misère à la décrire. Je peux toutefois dire qu’il s’agit d’un sentiment interne viscéral de dévalorisation suscité par les jugements négatifs et les préjugés sociaux à l’égard des personnes vivant avec le VIH. J’ai fait une chose humaine et j’ai contracté un virus, c’est tout.

Le fait que le VIH est porteur d’une stigmatisation si forte ne devrait surprendre personne.  Le syndrome de déficience immunitaire causé par les cas de VIH non traités est apparu il y a près de 40 ans. À l’époque, il s’agissait d’une réalité déconcertante et terrifiante. Les gens mouraient de manière atroce et les réponses se faisaient rares. De notre côté de la planète, le VIH touchait principalement les hommes gais et se transmettait sexuellement. D’autres groupes, dont les utilisateurs de drogues intraveineuses, ont également été frappés de plein fouet. La société n’a pas tardé à les juger. Il y avait aussi beaucoup de stigmatisation au sein de la communauté gaie. La communauté gaie a répondu avec activisme et compassion, mais le VIH demeurait effrayant au niveau individuel et la solution la plus facile était de simplement éviter les personnes vivant avec le VIH, surtout en matière de relations et de rapports sexuels. Le cercle de la stigmatisation venait de prendre forme.

Heureusement, les soins médicaux se sont drastiquement améliorés et les personnes vivant avec le VIH ont maintenant des vies normales et productives. Elles jouissent même d’un bonus additionnel; les études ont démontré que les individus qui prennent leurs médicaments régulièrement ne peuvent pas transmettre le virus lorsqu’elles maintiennent une charge virale indétectable. Par conséquent, une stratégie de santé publique nommée « traitement comme prévention » cible les groupes vulnérables, encourage le dépistage du VIH fréquent et à faibles barrières et préconise d’entreprendre un traitement antirétroviral le plus tôt possible après un diagnostic de séropositivité. I=I (Indétectable = Intransmissible, ou U=U pour Undetectable equals Untransmittable en anglais), une campagne de prévention dirigée par les personnes vivant avec le VIH qui s’appuie sur cette stratégie, a su encourager les organismes communautaires, les agences de santé et le public général à se fier aux preuves scientifiques liées au fait d'être indétectable. La Partner Study, dont les résultats furent publiés en 2016, démontrait qu’il n’y avait eu aucun cas de transmission du VIH après avoir observé une cohorte composée de 1100 couples sérodifférents ayant eu plus de 58 000 rapports sans condom pendant toute la durée de l’étude. Tous les organismes de santé d’envergure, sont unanimes : indétectable signifie intransmissible.

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Bien que les hommes séropositifs sous traitement contribuent énormément à atténuer le fardeau di VIH au sein de la communauté gaie, leurs efforts sont souvent passés sous silence.  Les attitudes changent, mais les personnes séropositives sont souvent encore perçues comme une source d’infection au VIH, et ce, même lorsqu’elles sont sous traitement. Tout cela est bien malheureux, car la majorité des personnes qui transmettent le virus sont elles-même nouvellement infectées et ne le savent pas, ou bien qui ne se font pas dépister. Nous savons que certains individus refusent de se faire dépister dû à la stigmatisation. Cette dernière favorise les nouveaux cas d’infection et le cercle continue.

Dans son article « Est-ce que vous rejetez toujours les individus en raison de leur séropositivité? », Matthew Hodson suggère que la stigmatisation du VIH dans la communauté gaie est toujours répandue malgré l’amélioration de nos connaissances sur la transmission du virus. Je partage cette opinion. D’après ma propre expérience, la plupart des hommes « séronegs » préfèrent toujours fréquenter d’autres hommes « séronegs ». De réelles conversations à propos du VIH et de la santé sexuelles représentent un fardeau trop imposant dans un contexte de baises spontanées. À l’exception des questions superficielles concernant le statut sérologique, l’évitement est de rigueur. Lorsqu’un individu affiche sa séropositivité, passez simplement au prochain profil. Cela n’arrive pas tout le temps, mais cela arrive trop souvent.

Puis il y a ce truc appelé PrEP – PrEP veut dire « prophylaxie pré-exposition » et implique la prise d’un médicament anti-VIH (Truvada® ou une version générique) par voie orale afin de prévenir l’infection au VIH. Le Truvada® fait également partie du traitement antirétroviral visant à gérer les infections existantes. Lorsque j’en ai entendu parler du concept de la PrEP pour la première fois, j’étais sceptique. Je trouvais que le traitement était trop cher et je croyais que les hommes séronégatifs ne seraient pas prêts à prendre un médicament anti-VIH à des fins de prévention.  Depuis, des études ont démontré l’efficacité du protocole et les prix ont baissé. J’ai également réalisé que j’avais tort – de nombreux individus ont adopté ce protocole. Les gars se sont rués aux cliniques, l’ont importé d’outre-mer et ont fait pression sur le gouvernement et les compagnies d’assurance afin que le traitement soit couvert. La quantité de campagnes et d’appels au clairon qui ont suivi le lancement de la PrEP rappelait les efforts militants qui ont eu lieu lorsque le sida a fait son entrée.

Je comprends. Les hommes gais (cis et trans) et les autres hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes veulent éviter de contracter le VIH et la PrEP leur permet d’avoir plus de contrôle de ce côté. L’accès à la PrEP est célébré sur les réseaux sociaux, mais l’anxiété liée au VIH chez certains utilisateurs deu PrEP semble être amplifiée par une quasi-obsession concernant les effets secondaires du Truvada®. Chaque bouton, chaque pet, chaque nuit d’insomnie et chaque démangeaison sont blâmés sur la PrEP. Peut-être que cela est dû au fait qu’une grande majorité de ces hommes suivent un traitement quotidien pour la première fois, mais je trouve la majorité des remous concernant la PrEP sur les réseaux sociaux plutôt perturbants. Le message semble être : « Regardez-moi, je prends la PrEP même si je pense qu’elle me rend malade parce que le fait de contracter le VIH est BIEN PIRE. » Cela stigmatise les gens séropos qui doivent prendre le même médicament pour traiter leur infection. Si les gars n’aiment pas les « effets secondaires » de la PrEP, qu’ils arrêtent de la prendre. Encore mieux, ils n’ont qu’à baiser un gars indétectable. Impossible de contracter le VIH de cette façon. Le cercle continue de s’agrandir.

Compte tenu de toutes les avancées en matière de prévention du VIH, je trouve que la persistance de la stigmatisation liée au VIH dans la communauté gaie est particulièrement frustrante. Elle est souvent subtile et les gens peinent souvent à reconnaitre les comportements stigmatisants. Et tout cela ne sert absolument à rien. Matthew Hodson dit que « pour réduire le nombre de nouveaux cas d’infection, il faut renforcer notre capacité de faire tout ce que la stigmatisation entrave : le dépistage, les conversations, l’honnêteté et l’ouverture. » Je rajouterais aussi l’éducation à cette liste. Les gens ne s’éduquent pas sur le VIH dû à la stigmatisation. Le VIH est toujours le problème d’autrui… enfin, jusqu’à ce qu’il soit soudainement le nôtre. Et trop souvent, les personnes qui ont récemment appris leur séropositivité intériorisent les émotions négatives qu’ils alimentent à l’égard du VIH : amplifiées, colériques et silencieuses. Le cercle de la stigmatisation est bouclé.

Comme Yogi Berra le disait : « Le futur n'est plus ce qu'il était. » Nous ne pouvons plus nous permettre d’ignorer l’impact pernicieux de la stigmatisation du VIH sur notre bien-être collectif. Il n’y a véritablement pas de raison de s’inquiéter. Les nouveaux cas d’infection peuvent absolument être évités. Lorsqu’ils ont tout de même lieu, ils sont facilement gérables. La vie continue. Maintenons nos efforts afin d’améliorer les nôtres et de faire en sorte qu’elles soient heureuses et saines pour tous. Il est temps pour nous de briser ce cercle vicieux.

Par Rob Gair.

* Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que leur(s) auteur(s) et ne reflètent pas nécessairement les politiques ou les opinions de la CBRC ou de ses bailleurs de fonds.

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