Les nouveaux principes de recherche du CBRC pour guider notre travail à venir

En prévision de la publication des principes de recherche du CBRC, notre directeur de recherche, Nathan Lachowsky, s’est entretenu avec deux de nos gestionnaires de recherche, Anu Radha Verma et Ben Klassen. Le trio a discuté de l’élaboration des principes et de leur portée pour notre travail futur.

Comment avez-vous participé à l’élaboration des principes ?

Nate : Lorsque j’ai commencé à travailler pour le CBRC comme directeur de recherche, nous étions dans une période de transition quant à l’équipe et au travail effectué. Comme bon nombre de gens dans le domaine, nous nous contentions d’accomplir notre travail. Autrement dit, nos valeurs implicites guidaient notre action. Avec le temps, en travaillant sur différents types de projets, nous avons compris qu’il manquait quelque chose… Pour tout dire, cela fait des années que nous y réfléchissons, probablement des décennies même !

Ben : J’ai participé à rassembler de nombreux documents qui énoncent déjà certains de nos principes et de nos méthodes de travail. Je pense à la liste de contrôle et le document G.R.O.W. + L.I.F.T. (en anglais) que Travis [Salway] et d’autres ont élaborés il y a plusieurs années. La croissance de notre organisme a eu pour conséquence un manque de cohérence dans notre conception de la recherche. Nous avons donc jugé nécessaire de consigner des lignes directrices sur papier. L’autre facette de notre démarche concerne la diversification des communautés avec lesquelles nous travaillons. Nous voulions reconnaître qu’une grande partie de notre travail avait été axé sur les hommes blancs, cisgenres et gais… Je crois que ces principes permettent un regard critique sur notre histoire. Tandis que nous élargissons notre champ d’action à de nouvelles collectivités, cette réflexion critique porte également sur l’équité en matière de santé et sur les personnes que nous privilégions aujourd’hui.

Anu : C’est la nature très ambitieuse de ce travail qui me motive à persévérer. Un tel travail ne doit pas être une tape dans le dos, une reconnaissance de nos bonnes actions. Affirmer que nous réussisions toujours à appliquer ces principes auraient comme conséquence de nous détourner des partenaires et des collaborateur·trice·s potentiel·le·s, ou même des personnes dont la confiance reste à gagner. Nous disons reconnaître certaines réalités des milieux dans lesquels nous évoluons, qu’il s’agisse de la société en général, des établissements universitaires, du milieu de la recherche ou du secteur 2S/LGBTQ+. Par conséquent, ces principes nous permettent en quelque sorte d’avoir un certain poids dans un contexte où le travail est toujours à recommencer. J’aime considérer ce document comme une façon d’aborder des sujets parfois difficiles avec d’autres personnes de notre organisme. Je ne suppose jamais, cependant, que nos expériences nous rendent solidaires. Je crois que cette façon de penser est très risquée. Lorsque tout le personnel s’est réuni pour parler de ces principes, j’étais dans un sous-groupe où nous discutions de partenariats. C’est alors qu’une grande question a été soulevée, celle de la responsabilité. Disons que lors d’un partenariat théorique sur cinq ans avec des millions de dollars en jeu, une situation délicate survient : comment allons-nous alors concrètement faire valoir notre redevabilité envers ces principes et ces méthodes de travail ? Comment exiger que ce partenaire en fasse autant ? Je me réjouis de toutes les possibilités devant nous, et je suis aussi très curieuse de voir comment cela sera mis en œuvre et reçu.

Nathan : Un des aspects de la démarche qui m’a beaucoup plu : lorsque l’on a parlé de ces principes avec différents groupes, notamment notre personnel et nos partenaires de recherche, la conversation est rapidement passée à leur mise en pratique… Comment se prennent les décisions en matière d’éthique ou de protocoles ? Qui siègent aux comités consultatifs ? Quel langage apparaît dans nos publicités sur les médias sociaux ? J’ai vraiment hâte de voir les réactions à ce document. Cette démarche vise également à reconnaître que d’autres communautés ont déjà élaboré ce type de principes et de protocoles afin d’encadre la recherche qui les implique. Je pense aux Premières Nations et aux communautés autochtones ainsi qu’aux communautés noires mentionnées au début de ce document. Nous veillons à ce que notre travail se fasse en lien avec le leur, tout en sachant que ces communautés se recoupent.

Ben : Je considère que notre programme bispirituel et certaines des recherches menées par Jessy [Dame] et d’autres sont exemplaires de l’intégration de tels principes. Mais lorsqu’il s’agit de nos autres projets de recherche, de quelle façon priorisons-nous réellement la méthodologie et les communautés autochtones ?

À quels objectifs répond l’élaboration de ces principes ?

Ben : Notre objectif premier, c’est de cibler la question de la gouvernance en recherche, c’est-à-dire qui est à la barre de la recherche. Lorsque nous parlons de la recherche communautaire au sens large, ce sont souvent des universitaires qui mènent le bal avec un engagement communautaire souvent superficiel. Ce que nous tentons de souligner, c’est que la communauté doit vraiment se trouver au cœur de la recherche, elle doit la mener et, en fin de compte, la gouverner. Selon moi, cela constitue l’essentiel de notre contribution.

Nathan : Dans cette perspective de gouvernance, la question revient parfois à savoir quand agir et quand céder la place, n’est-ce pas ? Comment changer nos façons de faire ? Souvent, nous nous contentons de répéter les mêmes pratiques, celles que nous avons apprises. Or, si nous voulons vraiment changer les choses, cela exige une certaine perturbation. Parfois, nous avons du mal à savoir comment répondre à des situations du genre, « ne fais pas ça » ou « fais plutôt ça ». C’est une tâche difficile de mener à bien des projets d’envergure sur un si grand territoire, avec une communauté diversifiée, tout en entretenant un dialogue avec les gens. La COVID a compliqué la tâche, mais je pense que, même avant, nous nous demandions comment rester en contact avec tout le monde.

Je réfléchis au fait que, parfois, d’un point de vue universitaire, le CBRC représente le partenaire communautaire. Or, lorsque je parle aux gens du CBRC, la perception est plutôt que nous souhaitons établir des liens avec la communauté… Un élément qui m’apparaît intéressant, c’est cette question de « qui constitue la communauté dans tout ça ? ». Même si nous avons un programme bispirituel et une équipe avec de nombreuses personnes 2SLGBTQ+, nous réfléchissons à savoir qui sont les personnes les plus marginalisées, les plus touchées. Bien sûr, notre équipe compte certaines de ces personnes. Toutefois, c’est tout autre chose que de s’adresser à la communauté avec un « c » minuscule, celle qui s’étend au-delà d’un organisme.

Comment utiliser ces principes dans les partenariats ?

Ben : L’une des choses qui me réjouit le plus avec les principes, c’est qu’ils vont nous permettre de dire : « Voici comment le CBRC souhaite travailler. Pour collaborer avec nous à l’avenir, c’est important de partager certaines de ces valeurs fondamentales. »

Anu : J’ai l’impression que nous devons aussi éduquer nos partenaires universitaires sur la signification des partenariats communautaires et sur les attentes à avoir envers nous. D’ailleurs, qui est ce « nous » ? C’est toujours ce que je me demande lorsque nous parlons de communauté — qui est la communauté dont nous parlons ? Parfois, ce terme désigne le personnel, car nous sommes toustes membres de la communauté. Cependant, ce « nous » exclut de nombreuses expériences. Alors, comment renverser cet état de choses ? Cela implique de repenser notre façon de faire de la recherche. Voilà pourquoi nous avons besoin de ce bouleversement.

Quels principes vous tiennent le plus à cœur ?

Anu : De nombreux principes retiennent mon attention, mais celui qui porte sur l’histoire revêt une importance particulière. Ce principe permet de souligner les origines du CBRC et contextualise une époque où la communauté était en proie à beaucoup de douleur et de deuil. Parallèlement, les gens devaient s’organiser pour faire valoir leur dignité auprès des autres membres de la communauté et au sein de la société, notamment en affirmant « nous sommes les mieux placé·e·s pour savoir »… Je réfléchis au fait que, sans nous limiter au domaine de la recherche, nous pouvons tirer des leçons de l’histoire du militantisme au Canada et en Amérique du Nord. Je pense en particulier aux actions des personnes militantes noires, autochtones et racisées… C’est le travail que je trouve vraiment passionnant. Si nous parvenons à apprendre comment les gens s’y prenaient sans financement et sans structures organisationnelles, cela peut nous donner des pistes historiques précieuses pour aller de l’avant. Nous ne pouvons pas prétendre avoir inventé quoi que ce soit. Ça me dérange vraiment quand les gens disent : « C’est du jamais vu. » Non, en fait, pas du tout.

Ben : La section consacrée à l’histoire est essentielle, car nous nous appuyons sur les mouvements et la mobilisation communautaire qui nous ont précédés. N’en demeure pas moins que nous portons un regard critique sur cette histoire. D’ailleurs, une grande partie de notre travail actuel consiste à réfléchir à la question de la mise en valeur de certaines personnes au détriment d’autres. Quant à la promotion de la justice sociale, bien avant notre arrivée, les débuts du CBRC étaient caractérisés par le militantisme. L’une des tensions qu’a entraînées notre croissance est de savoir comment préserver nos origines militantes. Nous sommes à une étape où nous obtenons davantage de financement, où nous établissons de nouveaux partenariats et où nous nous rapprochons, d’une certaine manière, des établissements universitaires. À la base, ce sont nos origines qui rendent notre travail important et significatif. Alors, comment continuer à promouvoir la justice sociale tout en nous intégrant dans certaines de ces grandes structures ? Je crois que, comme organisme, nous devrons aborder cette tension dans les années à venir.

Pour conclure ?

Nathan : Je considère que ces efforts font partie de notre intervention. Si nous nous limitons à effectuer notre travail sans jamais nous arrêter pour réfléchir à la manière dont nous voulons le faire, alors cela revient à dire que le système récolte les fruits de tous nos efforts. Merci aux personnes qui prennent le temps de lire ce blogue et de réfléchir à leurs pratiques !

Vous pouvez lire les principes de recherche du CBRC en suivant ce lien.

Available in English.

CBRC

À propos du CBRC

Le Centre de recherche communautaire (CBRC) promeut la santé des personnes issues de la diversité sexuelle et de genre par le biais de la recherche et du développement d’interventions.
Les nouveaux principes de recherche du CBRC pour guider notre travail à venir
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