Les risques d’être visible : réflexions sur la Journée de la visibilité trans 2023

Avertissement : cet article parle de transphobie et de transmisogynie. Il fait mention d’insultes et de messages haineux.

Je m’appelle Fae Johnstone. Je suis une femme trans de 27 ans, une militante queer et féministe, ainsi que la directrice générale de Wisdom2Action, une petite société de conseil dont une partie des profits sert à financer la défense des droits des personnes 2S/LGBTQIA+. Au cours des trois dernières années, j’ai acquis une notoriété peu enviable comme l’une des rares militantes queer et trans visibles au Canada. Le prix à payer est énorme.

À l’occasion de la Journée internationale de la visibilité trans le 31 mars, une journée pour célébrer, encourager et diffuser les voix des personnes trans, j’aimerais parler de l’épée à double tranchant que représente la visibilité trans. J’aimerais aussi expliquer pourquoi, plus que jamais, nous avons besoin de l’appui de notre famille queer et de nos allié·e·s.

Voilà quelques semaines, pour souligner la Journée internationale des femmes, moi et cinq autres jeunes femmes avons participé à une campagne publicitaire de Hershey Canada, une édition spéciale de tablettes de chocolat. Dans l’heure qui a suivi la diffusion de la campagne, le 1er mars, j’ai été la cible d’une tempête de haine, non pas pour ce que j’avais dit, mais en raison de ma simple présence comme femme trans dans une campagne pour la Journée internationale des femmes.

Dès le lancement de la campagne, des groupes d’extrême droite et des groupes contre les personnes trans à travers l’Amérique du Nord s’en sont pris à la campagne. Mon inclusion a donné lieu à un effort international de boycottage de Hershey. En quelques heures, #BoycottHersheys et #TransWomenAreConMen (les femmes trans sont des arnaqueurs) sont devenus des mots-clics tendance au Canada et aux États-Unis. Les médias de droite d’Amérique du Nord et du monde entier ont relayé l’affaire avec zèle. Tucker Carlson, Matt Walsh, Ben Shapiro et Michael Knowles – toutes des figures de proue de l’extrême droite américaine – ont consacré des segments à ma présence dans la campagne de Hershey. Du jour au lendemain, je suis devenue plus visible que jamais. Et pas dans le bon sens du terme.

J’ai reçu des milliers de tweets, de courriels et de messages directs haineux. On m’a traité de monstre, de pédophile, de prédateur sexuel (groomer), de f*f et de tr*nny à une telle fréquence que j’ai perdu le compte. Des dizaines de messages m’incitaient au suicide. Des gens ont déterré des photos de moi avant ma transition. On a découvert mon morinom et on l’a partagé. On a créé des mèmes pour se moquer de mon apparence, comme ceux plus bas, et on les a partagés sur les médias sociaux. Ce n’est pas la première fois que je suis la cible de l’extrême droite, mais rien ne m’avait préparé à cela. Ma vie privée a été bafouée et mon humanité rejetée.

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À une époque où les personnes trans sont plus visibles que jamais, nous associons souvent une telle présence au progrès, à l’acceptation et à la sécurité. Mais ce n’est pas nécessairement le cas.

Ce que j’ai vécu n’a rien de singulier ou d’accidentel. Au contraire, cette situation illustre la montée inquiétante de la haine envers les personnes 2S/LGBTQIA+. Partout au Canada, les lieux consacrés aux spectacles de drag se voient attaqués, des efforts sont déployés pour faire reculer l’inclusion dans les écoles, et on assiste à une recrudescence du discours associant les personnes queers à la pédophilie et à la prédation sexuelle (grooming). Nos communautés se voient menacées à un degré jamais vu depuis l’époque de l’égalité des droits en matière de mariage.

Ce serait naïf d’imaginer que cette haine va disparaître. Bien qu’elle cible actuellement les personnes trans, ce serait tout aussi naïf de croire que celle-ci se limite aux personnes trans. Les gens qui alimentent la haine à l’égard des personnes trans ont des visées bien plus larges : faire reculer les droits et l’inclusion des personnes marginalisées dans leur ensemble. Les personnes trans ne constituent qu’une cible facile. Si ces gens parviennent à faire basculer l’opinion publique sur les droits des personnes trans, à susciter la stigmatisation et la haine à leur égard, ils le feront aussi envers d’autres groupes. Les personnes trans sont peut-être les premières concernées, mais nous ne serons pas les dernières.

Les membres de la communauté trans ont sans aucun doute besoin de davantage de visibilité, mais à l’heure actuelle, nous avons surtout besoin de la visibilité de nos allié·e·s. Tout en sachant que nous ne sommes pas seul·e·s dans ce combat, le sentiment de solitude persiste. La communauté trans n’a pas les ressources sociales, politiques ou économiques nécessaires pour mener cette lutte seule.

Aujourd’hui, à l’occasion de la Journée de la visibilité trans, nous devons encourager, célébrer et diffuser les voix trans. Mais demain, et tous les jours qui suivront, je vous implore de passer à l’action. Les personnes trans sont plus visibles que jamais, mais les progrès réalisés demeurent tout au plus fragiles.

Je suis confrontée à la haine en ligne et au harcèlement en personne en raison de mon identité comme femme trans et de mon engagement en faveur des mouvements queers, trans et féministes. J’ai encaissé mon lot de mauvais traitements en raison de mon travail. Et j’en paie le prix à chaque fois. Je me suis effondrée à plusieurs reprises devant maon conjoint·e, lorsque la haine devient trop lourde à porter. Je sais que je ne suis pas seule dans ce combat, mais j’ai l’impression de l’être. Ce fardeau est trop lourd à porter pour les personnes trans, pas avec la quantité de haine que nous recevons à l’heure actuelle.

Je vous implore de vous joindre à nous dans la lutte pour les droits de la communauté trans. Aidez-nous à faire face à cette haine. Amenez vos familles, vos ami·e·s et vos organismes. Cette lutte ne concerne pas seulement les droits des personnes trans, c’est une question de justice sociale, d’équité et de droits de la personne.

Voici quelques pistes d’action pour soutenir les communautés trans :

  • Portez-vous bénévole, faites un don ou soutenez les organismes trans et 2S/LGBTQIA+ de votre région. Pour trouver un organisme près de chez vous, suivez ce lien.
  • Signez et diffusez la campagne #OnExigelaSécurité de Wisdom2Action ici.
  • Signez la pétition qui réclame du gouvernement du Canada le soutien des personnes trans et de la diversité de genre fuyant la montée de la haine aux États-Unis.
  • Diffusez les efforts de sensibilisation des communautés et des activistes trans et de la diversité de genre.

Par Fae Johnstone, directrice générale de Wisdom2Action

Available in English.

CBRC

À propos du CBRC

Le Centre de recherche communautaire (CBRC) promeut la santé des personnes issues de la diversité sexuelle et de genre par le biais de la recherche et du développement d’interventions.
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