Voici la troisième partie d’une série de quatre documents destinés aux praticien·ne·s et aux prestataires de services. Cette série met en lumière les voix de personnes ayant une expérience vécue (survivant·e·s) et contient des extraits d’entrevues avec des professionnel·le·s de la santé mentale menées pour le module d’apprentissage du Centre de recherche communautaire (CBRC), Santé mentale, pratiques de « thérapie » de conversion au Canada.
Les personnes 2S/LGBTQIA+ peuvent vivre de la discrimination et de l’oppression systémiques, et subir des traumatismes dans de multiples contextes. Par exemple, au sein de leur famille, leur existence peut être rejetée ou condamnée en raison de leur identité. À l’école, elles peuvent être harcelées ou agressées. Dans leur communauté religieuse, elles peuvent être jugées et exclues. Ces dynamiques peuvent également prendre place dans situations courantes, comme aller aux toilettes dans un lieu public. Ces traumatismes s’ajoutent aux conséquences des pratiques de conversion et aux efforts de coercition et peuvent en amplifier les effets.
Le système de santé est l’un des lieux où il est possible que des pratiques de conversion se produisent. Chez de nombreuses personnes trans et au genre créatif, l’accès aux soins médicaux axés sur l’affirmation est associé à de plus faibles taux de problèmes de santé mentale, notamment la dépression, l’anxiété et les idées suicidaires. Ce sont des soins vitaux, et les efforts de coercition qui ont eu lieu dans un contexte médical peuvent être particulièrement dangereux et amplifier les dommages causés par d’autres formes de traumatisme ou de discrimination.
L’une des pires difficultés que j’ai vécues, c’était le manque d’accès aux soins et les préjugés dans le système de santé et les soins de santé mentale… Soit on refusait de me soigner, ou on me soignait mal […] Je ne savais même pas que ce que j’ai vécu aurait pu être qualifié de thérapie de conversion.
– Survivant·e
Bon nombre de survivant·e·s présentent des symptômes typiques du syndrome de stress post-traumatique. Ces symptômes sont aggravés par le fait que les pratiques de conversion et les efforts de coercition sont enracinés dans des paradigmes religieux. Les expériences religieuses négatives se répercutent sur la capacité d’une personne à trouver un sens, un réconfort ou une résilience dans des cadres spirituels, ce qui amplifie son anxiété ainsi que la gravité de ses symptômes et de ses réactions traumatiques. De nombreuses personnes trouvent un apaisement profond dans les pratiques spirituelles ou les communautés religieuses, mais c’est généralement par ces dernières qu’elles ont été dénigrées. Il est fréquent que les survivant·e·s en arrivent à quitter leur communauté religieuse, ce qui entraîne souvent un deuil, de la colère, de la peur et de l’isolement.
La seule communauté que je connaissais et en laquelle j’avais confiance, c’était mon Église. Et je devais m’y cacher. Je ressentais une solitude infinie.
– Survivant·e
Oui, cela a affecté mes croyances religieuses, sans aucun doute. Pour certaines raisons, je ne peux pas fréquenter des musulmans très religieux. Mon partenaire est religieux. C’est un musulman pratiquant. Mais nous sommes toujours en conflit à ce sujet… C’était trop pour moi… j’ai mal partout juste à y penser.
– Survivant·e provenant d’une communauté noire ou racisée
Il convient d’être prudent·e lorsque l’on suggère des ressources d’adaptation spirituelle tels que la pleine conscience, la méditation ou d’autres interventions comme l’encouragement à fréquenter une communauté religieuse favorable à l’affirmation. En aidant avec douceur la personne à prendre conscience des nombreuses options qui s’offrent à elle, on peut lui donner les moyens de discerner ce qui lui apportera davantage d’apaisement. Il est recommandé de laisser la personne guider l’intervention et de procéder lentement afin de réduire les risques de préjudices involontaires.
Comme dans le cas de tous les traumatismes, la gravité et l’intensité sont souvent aggravées par l’âge auquel ces expériences ont été vécues. Les personnes dont l’identité n’a pas été validée à un stade précoce sont particulièrement touchées. Les efforts de coercition à l’égard du genre peuvent donc être particulièrement perturbants, car le sentiment d’identité d’un enfant commence à se développer très tôt. Comme la capacité à se connaître et à se faire confiance est liée à la capacité de fixer des limites appropriées et saines, ces enfants sont plus susceptibles de vivre d’autres expériences traumatisantes.
Les prestataires de services peuvent envisager différentes modalités thérapeutiques dans le cadre des démarches cliniques pour lesquelles iels ont été formé·e·s et qu’iels suivent dans l’exercice de leur profession :
- La thérapie narrative contribue à mettre au jour des récits négatifs ou fondés sur la honte et à les recadrer, tout en permettant à l’utilisateur·trice de se redéfinir.
- Les pratiques thérapeutiques somatiques tenant compte des traumatismes facilitent l’intégration sensorielle et aident à diminuer l’intensité des réponses traumatiques.
- La reconsolidation de la mémoire peut aider l’individu à définir ses croyances fondamentales pour en comprendre l’origine.
- La thérapie des systèmes familiaux intérieurs (thérapie des parties) est souvent utile pour l’intégration des symptômes dissociatifs.
Comme dans le cas de toute rencontre thérapeutique, les prestataires de service sont encouragé·e·s à fournir des soins qui favorisent l’affirmation des personnes 2S/LGBTQIA+, qui tiennent compte des traumatismes et qui sont sensibles à la culture. Nous vous invitons à prendre les principes suivants en considération :
- Demeurez conscient·e du pouvoir que vous pouvez représenter.
- Reconnaissez qu’il est possible que la thérapie ne semble pas un espace sécuritaire pour la personne et qu’elle lui rappelle le traumatisme qu’elle a subi.
- Visez la création d’espaces sécuritaires et invitez la personne à exprimer ce qui l’aide à se sentir en sécurité.
- Allez à la rencontre de la personne là où elle se trouve et acceptez les préoccupations qu’elle exprime.
- Éviter les suppositions sur l’identité et les besoins religieux ou spirituels. Consultez un·e spécialiste dans le domaine de la foi et de la spiritualité.
- Ne présumez pas que la sexualité ou le genre est la question que la personne souhaite aborder.
- Laissez-vous guider par la personne et encouragez-la à reconnaître les limites de son confort. Aidez-la à établir ces limites.
- Réfléchissez à la manière dont vous souhaitez vous dévoiler et aux éléments qui faciliteront (ou non) la relation thérapeutique.
- Tenez compte du rôle du processus parallèle et de la façon dont le comportement de la personne dans le contexte clinique peut refléter des dynamiques externes ou antérieures.
- Soutenez la personne lorsqu’elle reconnaît ou nomme quelque chose comme un effort de coercition ou une pratique de conversion.
Pour se rétablir, une personne doit souvent comprendre en quoi ses besoins ont été négligés et comment elle a été empêchée d’être fidèle à elle-même. Bon nombre de clinicien·ne·s estiment qu’un cadre narratif permet d’aider les survivant·e·s à redéfinir leur identité. D’autres modalités thérapeutiques peuvent aider les individus à guérir du traumatisme associé aux efforts de coercition, ce qui peut faciliter la guérison du traumatisme et la récupération de soi.
Comme avec tout·e autre client·e, les professionnel·le·s et les prestataires de services qui travaillent avec des survivant·e·s doivent avoir pour objectif thérapeutique de les aider à définir et à valider leurs émotions et à renforcer leur capacité à se comporter envers elleux-mêmes avec plus d’attention, de gentillesse et de compassion.
Contributeurs
Rahim Thawer, M. Serv. Soc., travailleur social, est psychothérapeute, chargé de formation clinique, animateur et conférencier, chargé de cours, écrivain et organisateur communautaire. Il consacre près de la moitié de sa pratique clinique à la supervision clinique et à la consultation.
Sly Sarkisova, M. Serv. Soc., est psychothérapeute queer et trans non binaire. Iel travaille en santé mentale, dans le domaine du traitement des dépendances et des traumatismes. Iel offre des services de consultation, de supervision clinique et de formation sur les pratiques de santé mentale holistiques et anti-oppressives qui tiennent compte des traumatismes.
Naj Siritsky, M. Sc. Serv. Soc., BCC, travailleureuse social·e, D. Min. (il/iel), est spécialiste-conseil en pratique professionnelle et défense des intérêts au Nova Scotia College of Social Workers. Il est travailleur social, titulaire d’un doctorat en conseil spirituel, a survécu à des pratiques de conversion et est le premier rabbin libéral transgenre et non binaire du Canada.