Depuis des dizaines d’années, la recherche montre sans équivoque que les communautés 2S/LGBTQ+ sont victimes de marginalisation et d’inégalités en raison de formes croisées d’oppression, de discrimination, de stigmatisation et de traumatisme. De nombreuses études ont constaté que les communautés 2S/LGBTQ+ ont une mauvaise santé mentale, avec des risques plus élevés de suicide, de troubles de l’humeur et d’anxiété que dans les populations hétérosexuelles[1][2][3][4]. Si tout cela est indéniable, la vision des communautés 2S/LGBTQ+ dans les articles de recherche (et dans d’autres domaines) est souvent problématique.
On a tendance à qualifier les personnes 2S/LGBTQ+ de « vulnérables » et à suggérer que c’est cette vulnérabilité qui est à l’origine de leur mauvaise santé mentale. Si ce raccourci linguistique peut s’avérer une tactique utile pour susciter l’intérêt du public et du milieu politique ou pour obtenir des financements, il contribue aussi à créer une vision non critique de la vulnérabilité des communautés 2S/LGBTQ+. En effet, cette perspective invite souvent à un discours misérabiliste, ou à un langage qui met l’accent sur les déficiences plutôt que sur les forces de nos communautés[5][6]. Cet article de blogue explore en quoi le discours axé sur les déficiences est problématique dans le domaine de la santé mentale 2S/LGBTQ+. Il invite à un recadrage du récit par le biais d’un langage fondé sur les forces.
Les problèmes liés au discours axé sur la vulnérabilité et les déficiences
Des recherches universitaires antérieures se sont penchées sur les textes de santé publique utilisant les termes « vulnérable », « groupes vulnérables » ou « populations vulnérables » afin de mieux cerner le contexte dans lequel ces termes sont utilisés et définis. Katz et al. ont conclu que ces termes étaient souvent définis de manière vague, voire pas du tout. De telles associations floues à la vulnérabilité, sans contexte clair, effacent la responsabilité de ces vulnérabilités, et laissent au lectorat le soin de déterminer qui est vulnérable, à quoi et pourquoi.
Les communautés 2S/LGBTQ+, à l’instar de n’importe quel autre groupe, ne sont pas intrinsèquement vulnérables. En l’absence de contexte ou de définition, on laisse entendre que la vulnérabilité est un déficit inhérent à ces communautés. Cela amène à se concentrer uniquement sur les interventions en aval, plutôt que sur les causes systémiques et structurelles des inégalités, et sur le rôle que nous jouons dans leur dissimulation. L’imprécision du discours axé sur les vulnérabilités contribue ainsi à cacher la nature structurelle des inégalités touchant les communautés 2S/LGBTQ+[7].
Dans le cas de la santé mentale des personnes 2S/LGBTQ+, ces perceptions négatives entravent notre capacité à interroger et à appréhender pleinement les effets de l’hétéronormativité, de l’homophobie, du genrisme et de la transphobie sur la santé mentale. Au contraire, elles mettent l’accent sur les facteurs individuels qui découlent directement de ces systèmes d’oppression, tels que la stigmatisation, la consommation de drogues et les facteurs de stress sociaux[8][9]. Si l’objectif de notre travail est d’améliorer la santé et le bien-être des personnes 2S/LGBTQ+, nous devons nous attaquer aux barrières structurelles et systémiques à l’origine de ces inégalités et les démanteler. Ainsi, le langage que nous utilisons et la manière dont nous nous définissons deviennent essentiels à l’atteinte de ces objectifs.
Recadrer activement le récit
On assiste actuellement à un changement de paradigme, le discours axé sur les déficiences étant petit à petit remplacé par un discours axé sur les forces. Ce dernier met l’accent sur les atouts de la communauté plutôt que sur les problèmes à résoudre[10]. Plutôt que d’insinuer que les communautés sont la source du problème, il suggère que les communautés sont touchées par le problème. La vulnérabilité n’est plus une déficience inhérente : on nous amène donc à examiner de manière holistique les facteurs structurels, sociopolitiques et culturels qui ont des répercussions sur la santé et le bien-être de nos communautés[11].
Alors que nous continuons d’étudier la santé mentale des personnes 2S/LGBTQ+ et de publier des recherches à leur sujet, il est crucial de prendre en compte le contexte de leurs expériences. Cette perspective nous invite à nous interroger sur les points forts et les atouts de la communauté et à en tirer parti pour améliorer la santé mentale de ses membres Comment intégrer les forces de la communauté à notre vision des enjeux de santé mentale 2S/LGBTQ+? Notre approche permet-elle de renforcer les atouts de la communauté?
La santé mentale des personnes 2S/LGBTQ+ est complexe et notre réponse doit tenir compte de cette complexité. Plutôt que de mettre l’accent sur les disparités qui les touchent, notre approche doit se concentrer sur la résolution des enjeux structurels qui contribuent à ces disparités. Pour nous aider dans ce travail de « recadrage », Lindsay McLaren et ses coauteur·trice·s posent les questions suivantes dans la Revue canadienne de santé publique[12] :
- Comment situer intentionnellement notre travail au sein des structures de pouvoir existantes ou contre celles-ci, ainsi que dans la dynamique entre les personnes opprimées et celles qui les oppriment ostensiblement?
- Comment éviter de maintenir le statu quo en perpétuant une mentalité axée sur les déficiences dans le domaine de la santé publique?
La suite du récit
La santé mentale des personnes 2S/LGBTQ+ est largement influencée en amont par des forces structurelles et systémiques qui sont peu reconnues[13]. Étant donné les pressions du monde dans lequel on vit (nécessité de trouver des financements, de susciter l’intérêt politique ou l’attention du public) et la difficulté à abandonner les discours traditionnels, il est certainement plus aisé de continuer à employer un langage fondé sur les déficiences dans le domaine de la santé mentale 2S/LGBTQ+.
Toutefois, si nous voulons vraiment nous occuper de la santé mentale des personnes 2S/LGBTQ+, nous avons la responsabilité de commencer à changer notre façon de voir et de raconter les choses, et de cesser de perpétuer des discours qui dissimulent la nature structurelle et systémique de leurs problèmes de santé mentale.
Par David Absalom
David Absalom est un professionnel de la santé publique qui travaille à construire des ponts entre les mondes de la recherche, de la politique, de la justice sociale et de la défense des droits. Il travaille dans le milieu de la santé pour promouvoir la santé et le bien-être des personnes GBT2Q et des communautés Noires.
[1] King, M., Semlyen, J., Tai, S. S., Killaspy, H., Osborn, D., Popelyuk, D. et Nazareth, I. (2008). « A systematic review of mental disorder, suicide, and deliberate self harm in lesbian, gay and bisexual people » (anglais). BMC Psychiatry, 8, p. 1-17.
[2] Hottes, T. S., Bogaert, L., Rhodes, A. E., Brennan, D. J. et Gesink, D. (2016). « Lifetime prevalence of suicide attempts among sexual minority adults by study sampling strategies: A systematic review and meta-analysis » (anglais). American Journal of Public Health, 106(5), e1- e12.
[3] Budge, S. L., Adelson, J. L. et Howard, K. A. (2013). « Anxiety and depression in transgender individuals: the roles of transition status, loss, social support, and coping » (anglais). Journal of consulting and clinical psychology, 81(3), p. 545.
[4] Rutherford, L., Stark, A., Ablona, A., Klassen, B. J., Higgins, R., Jacobsen, H., … et Lachowsky, N. J. (2021). « Health and well-being of trans and non-binary participants in a community-based survey of gay, bisexual, and queer men, and non-binary and Two-Spirit people across Canada » (anglais). PLoS ONE, 16(2), e0246525.
[5] Agergaard, S. et Lenneis, V. (2023). « Rethinking the Vulnerability of Groups Targeted in Health-Promoting Sports and Physical Activity Programs » (anglais). Social Sciences, 13(1), p. 6.
[6] Smylie, J., Lofters, A., Firestone, M. et O’Campo, P. (2011). « Population-based data and community empowerment » (anglais). Dans Rethinking social epidemiology: towards a science of change (p. 67-92). Dordrecht : Springer Pays-Bas.
[7] Katz, A. S., Hardy, B. J., Firestone, M., Lofters, A. et Morton-Ninomiya, M. E. (2020). « Vagueness, power and public health: use of ‘vulnerable’ in public health literature » (anglais). Critical Public Health, 30(5) : p. 601-611.
[8] Rutter, H., Savona, N., Glonti, K., Bibby, J., Cummins, S., Finegood, D. T., … et White, M. (2017). « The need for a complex systems model of evidence for public health » (anglais). The Lancet, 390(10112), p. 2602-2604.
[9] Ibid.
[10] Martin-Kerry, J., McLean, J., Hopkins, T., Morgan, A., Dunn, L., Walton, R., … et Prady, S. L. (2023). « Characterizing asset-based studies in public health: development of a framework » (anglais). Health Promotion International, 38(2), daad015.
[11] Ibrahim, N., Michail, M. et Callaghan, P. (2014). « The strengths based approach as a service delivery model for severe mental illness: a meta-analysis of clinical trials » (anglais). BMC Psychiatry, 14, p. 1-12.
[12] McLaren, L., Masuda, J., Smylie, J. et Zarowsky, C. (2020). « Unpacking vulnerability: towards language that advances understanding and resolution of social inequities in public health » (anglais). Canadian Journal of Public Health/Revue canadienne de santé publique, 111(1), p. 1.
[13] Mathias K, Bunkley N, Pillai P, Ae-Ngibise KA, Kpobi L, Taylor D, et al. (2024). « Inverting the deficit model in global mental health: An examination of strengths and assets of community mental health care in Ghana, India, Occupied Palestinian territories, and South Africa » (anglais). PLOS Glob Public Health, 4(3) : e0002575. https://doi.org/10.1371/journal.pgph.0002575