Réimaginer la prévention du VIH, corriger les inégalités : l’avenir de la PrEP est maintenant

Auteurs : Tyrone Curtis, Lucas Gergyek, Ben Klassen et Daniel Grace

Le 13 mai 2024, Santé Canada a approuvé la première forme de PrEP contre le VIH à action prolongée (LA-PrEP) sous forme de cabotégravir injectable à action prolongée (CAB-LA). Bien que les détails sur la façon dont le CAB-LA sera distribué au Canada n’ont pas encore été précisés, l’étude de L’avenir de la PrEP est maintenant a pour objectif d’orienter le déploiement de la LA-PrEP au Canada d’une manière qui réduit les iniquités actuelles en matière d’accès et d’utilisation de la PrEP chez les hommes bispirituels, gais, bisexuels, queers et autres hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes (H2SGBTQ). Dans cette optique, l’équipe de L’avenir de la PrEP est maintenant a dirigé un panel de discussion et un atelier portant sur le thème « Réimaginer la prévention du VIH au Canada » lors du sommet annuel du Centre de recherche communautaire (CBRC) à Vancouver, en novembre 2023. Cette conférence a rassemblé un groupe diversifié composé d’H2SGBTQ, d’organisations H2SGBTQ, de prestataires de soins de santé et d’intervenant·e·s de la santé publique de partout au Canada, pour les inviter à participer à des conversations au sujet de notre santé et de notre bien-être. Tirant profit de ce cadre dynamique, la séance de L’avenir de la PrEP est maintenant s’est particulièrement concentrée sur la réduction des iniquités auxquelles les H2SGBTQ marginalisés font face en matière d’accès à la PrEP. L’équipe en a aussi profité pour faire du remue-méninge au sujet des mesures que nous pouvons prendre pour optimiser cette nouvelle forme prometteuse de prévention du VIH. 

La séance a commencé par une brève introduction sur le CAB-LA, présentée par le Dr Darrell Tan de l’Hôpital St. Michael à Toronto. Ensuite, le Dr Wale Ajiboye de Unity Health Toronto a fait une présentation sur les iniquités actuelles en matière d’accès à la PrEP et sur l’importance de les réduire. Enfin, le Dr Tyrone Curtis de l’Université de Victoria a présenté les résultats préliminaires des groupes de discussion et des entrevues réalisées avec des membres des communautés H2SGBTQ marginalisées.

Après ces présentations, les membres du public ont été répartis en 4 groupes de discussion, chacun axé sur un sujet différent en lien au déploiement du CAB-LA. Les discussions au sein de chaque groupe étaient animées et captivantes, témoignant ainsi de l’enthousiasme des participant·e·s pour de nouvelles approches à la prévention du VIH au Canada. Vous trouverez ci-dessous des résumés de ces discussions : 

Groupe 1 : Diffusion des connaissances

L’adoption de la LA-PrEP nécessitera que les H2SGBTQ disposent d’informations sur cette nouvelle approche à la prévention. Dans le groupe 1, les personnes participantes ont discuté des stratégies de diffusion des connaissances au sujet de la LA-PrEP, dont des approches pour rejoindre les populations marginalisées de H2SGBTQ par le biais de messages personnalisés. Les personnes participantes ont réfléchi à une variété de méthodes pour sensibiliser le public à propos de la LA-PrEP, y compris des publicités sur les médias sociaux et la création de liens avec des organismes communautaires et des services de réduction des risques pour partager l’information avec les populations qu’ils soutiennent. Le groupe a aussi discuté de la possibilité de sensibiliser le public au sujet de la LA-PrEP à l’aide d’articles de magazines ou de journaux, et de la création de publicités à afficher dans les transports publics, les lieux de prestation de services de santé sexuelle et de réduction des risques, ainsi que dans les espaces 2S/LGBTQIA+, comme les bars, les bains publics et les évènements de la fierté. Lorsqu’est venu le temps de réfléchir à la forme et au contenu de ces ressources d’information, les participant·e·s ont insisté sur l’importance de créer des ressources multilingues, d’adapter le langage et l’approche selon le public visé et de recruter des leaders ou des ambassadeurs·drices communautaires qui seront en mesure de transmettre notre message. Il a aussi été souligné que les témoignages de personnes qui utilisent déjà la LA-PrEP pourraient être utiles pour améliorer le confort, accroître les connaissances au sujet des risques et des bienfaits, ainsi que pour promouvoir la sensibilisation du public au sujet de la LA-PrEP.

Lorsqu’est venu le temps de déterminer ce que les membres de la communauté devraient savoir à propos de la LA-PrEP, le groupe a parlé de l’importance de renforcer les connaissances de base sur la PrEP, et par la suite, d’expliquer le « pourquoi » de la LA-PrEP. En général, « les choses à savoir » pouvaient être réparties en cinq grandes catégories : 

  • administration — comment est-elle administrée et par qui, niveau de douleur; 
  • accès — coût, couverture, et admissibilité dans toutes les provinces, comment y avoir accès et à qui se référer; 
  • effets secondaires et interactions — interactions possibles avec d’autres médicaments et drogues, préoccupations esthétiques, effets et tolérance à long terme; 
  • fréquence des injections et des tests — différent calendrier de tests et comment il est lié au calendrier des injections, possibilité de prendre un comprimé oralement durant les voyages à la place d’une injection, et possibilité d’une utilisation « sur demande »; 
  • sous-groupes — pourquoi cet outil est pertinent et important pour les jeunes, les nouveaux·velles arrivant·e·s et les réfugié·e·s. 

Le groupe a aussi discuté de la manière de renforcer les connaissances des prestataires de soins de santé, entre autres par l’entremise de la création de fiches d’information et d’organigrammes qui comparent les différentes options de PrEP, ainsi que l’organisation d’évènements axés sur l’acquisition de connaissances, comme des webinaires durant lesquels les organismes communautaires peuvent jouer un rôle clé dans la diffusion des informations. D’autres suggestions de méthodes de promotion visant spécifiquement les prestataires de soins de santé comprenaient la création de modules de formation en ligne, et l’inclusion d’information et de formation au sujet de la LA-PrEP dans les programmes des écoles de médecine, qui aborderaient aussi la raison pour laquelle elle représente une solution de rechange efficace à la PrEP orale quotidienne.

Groupe 2 — Accès au CAB-LA et mise en œuvre

Le déploiement du CAB-LA nécessitera de repenser les modèles d’accès et de mise en œuvre de la PrEP (p. ex. : administration par injection ou administration par comprimé oral). Dans le groupe 2, les personnes participantes ont d’abord discuté des obstacles potentiels à l’accès aux services liés à l’utilisation du CAB-LA. La nécessité de standardiser les soins liés au VIH partout au Canada a aussi été un sujet de discussion majeur. Actuellement, les soins offerts, ainsi que les options proposées de prévention du VIH et de traitement de ce dernier, varient d’une province à l’autre. Par exemple, l’accès au traitement sous forme injectable à action prolongée pour les personnes vivant avec le VIH demeure extrêmement limitée en Colombie-Britannique, comparativement à bien d’autres provinces, donc il y a raison de s’inquiéter que le CAB-LA ne sera peut-être pas approuvé dans la province. Les personnes participantes se sont aussi penchées sur la question de l’évaluation de l’admissibilité à la LA-PrEP, et sur la façon d’améliorer les modèles actuels d’évaluation de l’admissibilité qui, paradoxalement, font en sorte que certaines personnes avec de plus hauts risques de contracter le VIH sont incapables d’accéder à la PrEP.  

Le groupe a aussi discuté de la nécessité de permettre à un plus grand nombre de prestataires de services d’offrir la PrEP, tout en notant que l’administration du CAB-LA exigera de visiter un·e prestataire de soins tous les deux mois, alors qu’il est actuellement extrêmement difficile d’accéder aux services de tel·le·s professionnel·le·s. Contrairement à la PrEP orale, qui peut être prescrite sans visite obligatoire en cabinet médical, le CAB-LA doit être administré sur place par le personnel de santé. L’administration dans les pharmacies locales a été suggérée pour élargir l’accès, puisque leur personnel peut déjà administrer d’autres injections (p. ex. : vaccins). Toutefois, les personnes participantes ont fait remarquer que de nombreuses pharmacies n’ont pas d’installations privées convenables pour l’administration des injections du CAB-LA (qui est injecté dans les fesses). Les infirmier·ère·s itinérant·e·s ont aussi été mentionné·e·s comme moyen d’élargir l’accès au CAB-LA, puisqu’iels sont en mesure de diriger les patient·e·s vers le système de santé de la Colombie-Britannique pour recevoir de la PrEP, et aussi d’administrer d’autres injections. Enfin, des organismes communautaires sont déjà impliqués dans le dépistage du VIH et des ITS, ainsi que dans la vaccination contre la mpox. La plupart du temps, ces organismes sont en mesure d’offrir ces services (dans l’intimité nécessaire) n’importe où, donc ils représentent aussi une option adéquate pour l’administration. Le groupe a aussi reconnu l’importance d’impliquer les organismes communautaires dès le début de l’élaboration des politiques. 

Le groupe a finalement discuté des manières d’encourager l’observance du traitement à injections répétées de CAB-LA. L’infrastructure et les modèles existants qui pourraient favoriser l’observance de ce style de traitement ont été mentionnés, comme les services d’envoi de textos de rappel semblables à ceux utilisés par les gouvernements provinciaux pour les rappels de vaccin et par les systèmes de notifications des partenaires. Peu importe quels systèmes seront adoptés, le groupe a reconnu l’importance de demander directement aux personnes ce qui fonctionnerait le mieux pour elles. L’inquiétude au sujet de la période de diminution lente des concentrations du CAB-LA (durant laquelle une personne qui a arrêté le CAB-LA doit continuer à prendre de la PrEP oralement pour éviter la résistance en cas de nouvelle infection par le VIH) a aussi été soulevée, car cela pourrait vouloir dire que les personnes qui ont le plus besoin de CAB-LA (c.-à-d. celles qui ont du mal à adhérer à un traitement de PrEP oral) seraient considérées comme étant inadmissibles. Enfin, le groupe a discuté de l’importance de tirer profit des liens que les prestataires de services itinérant·e·s (p. ex. : les infirmier·ère·s de rue) ont tissés avec la communauté afin d’aider les membres de la communauté qui ont habituellement du mal à adhérer à de tels protocoles de traitement. 

Groupe 3 — À quoi l’avenir de la PrEP devrait-il ressembler?

Alors que d’autres technologies de PrEP se profilent à l’horizon, les participant·e·s du groupe 3 ont discuté de ce à quoi ressembleraient les modalités et l’accès à la PrEP dans un monde idéal sans obstacle. La discussion a été animée et très variée. Les participant·e·s se sont surtout concentré·e·s sur l’accès. La PrEP, sous toutes ses formes, doit être gratuite. Le groupe s’est fait l’écho des appels pour la nécessité d’une PrEP entièrement payée par le gouvernement, et a insisté sur le fait que les coûts et les assurances demeurent des obstacles pernicieux à l’accès. Le groupe a aussi abordé le sujet de l’iniquité mondiale en matière d’accès à la PrEP. 

Les personnes participantes ont aussi parlé des méthodes d’administration de la PrEP injectable. Pour de nombreuses personnes, la PrEP injectable à action prolongée semblait très prometteuse, mais elles se sont demandé si une méthode d’injection plus facile (possiblement l’auto-injection) serait possible. Certaines personnes ont suggéré qu’un médicament en comprimé « tout-en-un » qui ferait plus que prévenir le VIH serait une option très intéressante, plutôt que de recourir à des injections (p. ex. : une combinaison de la doxyPrEP + VIH-PrEP pour prévenir le VIH et d’autres ITS). Ou peut-être même une option sans effets secondaires. De nombreuses personnes ont imaginé un avenir pour la PrEP dans lequel le coffre à outils de traitements offrirait de multiples options moins invasives (y compris la PrEP sur demande et les implants, en plus de la PrEP injectable et de la PrEP orale quotidienne). L’un des thèmes récurrents des discussions était celui de l’importance de se concentrer sur les besoins des personnes vivant avec le VIH et de s’assurer qu’elles pourront toutes accéder à de nouvelles formes de traitement du VIH à mesure qu’elles seront déployées. 

L’importance de l’autonomie corporelle est la clé de l’avenir de la PrEP, avec les soins centrés sur la personne comme pierre angulaire des méthodes d’administration de la PrEP. De plus, le groupe a mentionné que nous devions aussi penser à l’accès universel aux soins de santé de base. Les discussions sur la PrEP doivent devenir de plus en plus normalisées et le besoin pour de plus vastes campagnes de sensibilisation visant les prestataires de soins de santé et le grand public se fait ressentir. La PrEP n’est pas seulement « pour les hommes homosexuels »; un point très important à garder en tête pour le déploiement du CAB-LA. Nous devons aussi lutter contre les préjugés au sujet de la sexualité et du plaisir, et tâcher de voir la PrEP comme l’une des composantes de grands mouvements pour la santé et la libération sexuelles. L’avenir que nous nous sommes imaginé était celui d’un monde exempt de préjugés, alors que nous discutions des effets négatifs sur nos communautés de nombreuses formes de stigmatisation intersectionnelle, y compris les préjugés liés au VIH. 

Groupe 4 — La perspective des prestataires de soins de santé

Le groupe 4 était composé de prestataires de soins de santé impliqué·e·s dans la mise en œuvre de la PrEP, y compris du personnel de la santé, des infirmier·ière·s praticien·ne·s, des travailleur·euse·s sociaux·iales et des pharmacien·enne·s. C’est le Dr Darrell Tan de l’hôpital St. Michael qui a animé la discussion. James Morrison, un pharmacien propriétaire de Toronto qui a assisté à la séance, a résumé la discussion de ce groupe dans un article de blogue qui sera publié en septembre.

Récapitulatif

L’équipe de L’avenir de la PrEP est maintenant est immensément reconnaissante de l’énergie et de l’enthousiasme dont les participant·e·s ont fait preuve durant la séance et les groupes de discussion. Leur emballement pour le potentiel du CAB-LA (ainsi que pour l’avenir des produits LA-PrEP actuellement en cours de développement) était tout aussi fervent que leur plaidoyer dynamique en faveur d’un accès plus équitable à la PrEP pour les personnes qui pourraient en bénéficier. L’équipe de L’avenir de la PrEP est maintenant a quitté la séance en se sentant inspirée à continuer son travail sur le projet. À ce jour, l’équipe a terminé son travail avec les groupes de discussion et ses entrevues avec les membres de la communauté et les parties prenantes, qui visaient à identifier les facteurs nécessaires pour rendre l’accès à la PrEP plus équitable. L’équipe mènera bientôt une étude quantitative pour déterminer les préférences des H2SGBTQ du Canada quant à l’accès à la LA-PrEP. Les résultats de ces études contribueront à l’élaboration d’une proposition de projet de mise en œuvre du CAB-LA, qui coïncidera avec le déploiement du CAB-LA au Canada dans un avenir proche.

 

 

Available in English

CBRC

À propos du CBRC

Le Centre de recherche communautaire (CBRC) promeut la santé des personnes issues de la diversité sexuelle et de genre par le biais de la recherche et du développement d’interventions.
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