Relevons le défi : poursuivons la lutte pour notre santé et nos droits

Je n’avais que 10 ans et étais peu consciente du monde autour de moi lorsque le mariage gai a été adopté au Canada. J’ai atteint l’âge adulte vers la fin de l’ère Stephen Harper; le Canada semblait alors prêt à embrasser l’égalité et la liberté des personnes queers et trans. Malgré un tableau encore imparfait et de nombreuses exceptions à cet esprit de tolérance, l’époque semblait propice aux avancées et à la construction d’un monde meilleur. 

J’étais pleine d’espoir et prête à faire ma part pour accélérer ce progrès vers l’équité et la libération. Avec le recul, l’enthousiasme de cette période me manque. Ces temps-ci, je pense davantage à l’erreur que nous avons commise en tenant nos progrès pour acquis et à la légère naïveté de notre approche. Nous avons oublié que le progrès n’est jamais garanti. La libération ne suit pas un chemin linéaire. Bien souvent, chaque pas en avant est accueilli par de multiples tentatives pour nous repousser deux pas en arrière. 

Aujourd’hui, les jeunes queers comme moi, au Canada, en Amérique et dans de nombreuses parties du monde, doivent faire face à une montée de l’homophobie et de la transphobie jamais connue de leur vivant. C’est nouveau pour nous, et ça nous rentre dedans comme un train. Nous avons peur, et à juste titre. Depuis des années se prépare un retour de bâton au regard de la santé trans, et plus largement des principes de diversité, d’équité et d’inclusion. Ces réactions hostiles semblent maintenant se déchaîner, sans que l’on sache encore jusqu’où elles iront. 

Je n’étais pas née dans les années 1970 et 1980, à l’époque post-Stonewall et lorsque le sida a commencé à décimer des générations d’hommes gais. Mais j’ai la chance de connaître de nombreuses personnes dans ma communauté qui ont vécu ces années-là et de pouvoir écouter leurs récits. Si je ne peux pas toujours m’identifier aux défis qu’elles ont rencontrés, je peux certainement tirer espoir de leurs victoires. 

Quand je suis en mal d’inspiration, je n’ai qu’à penser à l’histoire de la création du CBRC et de groupes tels que Health Initiative for Men (HIM). Des histoires qui ont commencé par des principes fondateurs griffonnés sur une serviette dans un bar gai ou autour d’une table de cuisine, par des hommes gais fatigués d’être mis à l’écart de la lutte contre le VIH par des hétéros, et de devoir se battre pour obtenir leur part de financement, alors que la crise les frappait de plein fouet. Aujourd’hui, HIM et le CBRC sont devenus des incontournables de la santé queer, multipliant les programmes et les collectes de données et les mettant au service de la santé et du bien-être des personnes queers. 

Ce sont des histoires comme celles-ci qui me rappellent que, même quand les gouvernements nous sont hostiles, nous trouvons nos propres moyens d’aller de l’avant. Elles me rappellent que notre communauté survit à la discrimination et à l’exclusion depuis des générations. Notre héritage est marqué, voire défini, par la résistance à des gouvernements hostiles et à une société où s’infiltrent l’homophobie et la transphobie. Ces histoires nous montrent que lorsque notre communauté est prise comme bouc émissaire par les gens au pouvoir, que les progrès de nos droits sont accueillis avec violence, nous savons nous unir. Nous avons énormément de force et, avec le temps, nous pouvons gagner. 

Face à la haine et au retour de bâton, nous devons nous unir

Aujourd’hui, les États-Unis ont un président qui n’aime pas les personnes queers, ni d’ailleurs aucune minorité ou population marginalisée. Un président qui a choisi comme priorité politique l’élimination des personnes trans de la vie publique. Il a déjà retiré toute mention des personnes trans des sites Web gouvernementaux, supprimé le marqueur X sur les passeports, commencé à transférer les femmes trans des prisons pour femmes (les exposant ainsi à un risque accru de violence) et interdit les soins d’affirmation de genre aux jeunes trans. Tout cela dans les deux premières semaines de son mandat – et il ne s’agit que de quelques-unes de ses attaques contre les personnes trans. 

Au Canada, deux gouvernements provinciaux s’efforcent déjà de faire reculer la liberté et les droits des jeunes trans et, dans le cas de l’Alberta, d’empêcher leur accès aux soins d’affirmation de genre. Pour couronner le tout, plusieurs responsables politiques au Canada applaudissent l’approche brutalement anti-trans et anti-DEI adoptée par la nouvelle administration américaine et le parti républicain. Quelles conséquences peut-on craindre pour les communautés queers, trans et bispirituelles du Canada et pour leur accès aux soins de santé et aux services sociaux? 

À force de travailler aux côtés de personnes queers qui mènent ce combat depuis bien plus longtemps que moi, j’ai appris que notre communauté n’a cessé d’être diabolisée et prise pour cible au fil des paniques morales qui vont et viennent. Même si rien ne semblait jouer en notre faveur, nous avons appris à nous soutenir mutuellement face aux gouvernements et aux groupes qui ne nous comprennent ou ne nous acceptent pas. Rien de cela n’est nouveau, et pourtant beaucoup a déjà été accompli : je sais donc que nous vaincrons.

Mais comment? Comment couper court aux mensonges et regagner le public que nous pensions naïvement acquis à notre cause? Comment montrer aux responsables politiques qui tentent d’instrumentaliser la haine et l’ignorance contre les personnes queers et trans que leur stratégie n’est pas seulement contraire à l’éthique, mais aussi perdue d’avance? Comment atténuer les méfaits du climat actuel, contrer les récits fallacieux et redresser la situation? 

Il est temps de réfléchir posément à notre mouvement, d’examiner nos tactiques et nos messages d’un œil critique, et de penser aux meilleures stratégies pour changer l’opinion publique – et de cibler les publics dont nous voulons changer l’opinion. Qu’est-ce qu’un message gagnant, à qui doit-il être livré, et comment? En jetant un regard honnête sur nos actions passées, peut-on dire que nous avons fait le nécessaire pour nous adresser aux gens tels qu’ils sont? 

Qu’on le veuille ou non, les questions liées au sexe, à la sexualité et au genre sont encore floues, et rendues plus troubles encore par un climat de peur et de mensonge. Les plateformes numériques, qui semblent de moins en moins se soucier de notre sécurité et de notre dignité, ne font qu’amplifier le tumulte. Il reste beaucoup à assimiler et à planifier, mais je crois fermement que pour sortir vainqueur, il faut gagner le public, c’est-à-dire diffuser un message inclusif auquel tout le monde peut s’identifier. Il faut miser sur les expériences et les valeurs communes à toute l’humanité, sur les principes partagés de liberté, d’égalité et de droits de la personne. 

On ne peut pas passer notre temps à répondre aux attaques de gens transphobes qui veulent que les personnes comme moi soient effacées de la vie publique. Nous devons être pour quelque chose. Nous devons présenter un portrait du pays et du monde que nous voulons voir advenir, et proposer des mesures claires pour le concrétiser. 

Notre mouvement a derrière lui une histoire incroyable. Le monde que nous essayons de bâtir ne bénéficie pas qu’aux personnes queers. Nous bâtissons un monde meilleur (plus libre, plus égalitaire, plus sûr et plus sain) pour tous et toutes. Cette vision, faisons-la rayonner et rendons-la à portée de main grâce à des solutions concrètes. 


Fae Johnstone (elle/iel) est directrice générale de la Society for Queer Momentum, un organisme national à but non lucratif qui œuvre pour la liberté, l’égalité et les droits des personnes 2SLGBTQIA+. Vous pouvez soutenir l’action de Queer Momentum en vous inscrivant à son infolettre ici

Les opinions exprimées dans cet article sont uniquement celles de son auteure et ne reflètent pas nécessairement les politiques ou les opinions du CBRC ou de ses bailleurs de fonds.

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CBRC

À propos du CBRC

Le Centre de recherche communautaire (CBRC) promeut la santé des personnes issues de la diversité sexuelle et de genre par le biais de la recherche et du développement d’interventions.
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