Voici la deuxième partie d’une série de quatre documents destinés aux praticien·ne·s et aux prestataires de services. Celle-ci donne une voix aux personnes ayant une expérience vécue (survivant·e·s) et contient des extraits d’entrevues avec des professionnel·le·s de la santé mentale menées pour le module d’apprentissage du Centre de recherche communautaire (CBRC), Santé mentale, pratiques de « thérapie » de conversion au Canada.
Question : De quelles façons le traumatisme fait-il surface dans la prestation de soins de santé mentale à des survivant·e·s de pratiques de conversion et d’efforts de coercition?
Premier exemple : Le client est un homme transgenre qui n’a pas de soutien de sa famille. À sa première consultation, il était envahi de colère. Sa vie était marquée par l’isolement et la honte. Il avait l’impression que personne ne le comprenait. D’un point de vue clinique, il était important de regarder au-delà de la colère pour comprendre ce qui se passait dans l’espace thérapeutique et comment cette colère reflétait ce qui se passait à l'extérieur de l'espace thérapeutique. Comment l’expression de cette hostilité a-t-elle influé sur la façon dont il voyait le monde et la façon dont il a été rejeté par des gens? Dans quelle mesure voyait-il lae clinicien·ne comme une autre personne qui lui refuserait l'acceptation ou qui lui dirait ce qu’il devait faire? Le client a par la suite compris que sa colère était dirigée contre sa famille qui ne lui permettait pas d’être lui-même, et que sa perception du monde reflétait ce rejet.
Deuxième exemple : À la réception d’un programme de services-conseils anonyme, un visiteur, un homme gai d’un certain âge, demande à un professionnel de la santé mentale s’il est musulman, ce que ce dernier confirme. Le visiteur lui rétorque qu’on ne peut pas être musulman et gai. Le clinicien lui demande donc en quoi son sentiment d’incompatibilité l’affecte. Le visiteur répond qu’il pensait avoir « fait ce qu’il fallait », qu’il s’était marié et qu’il avait repoussé une partie de lui-même. Interrogé à savoir s’il connaît d’autres personnes musulmanes gaies, il déclare avec colère : « Arrêtez de dire ça! On ne peut pas être à la fois l’un et l’autre! » Le clinicien réfléchit alors à ce qu’il représente pour cette personne. Qu’est-ce qui le met en colère? Réponse clinique possible : « Lorsque vous me dites qu’il n’est pas possible d’être gai et musulman, et que je vous réponds que c’est ce que je suis, quels sentiments cela suscite-t-il chez vous? » Une grande partie de la vie de cet homme a été structurée selon la croyance que ces deux identités étaient incompatibles. Quelle souffrance doit-on explorer lorsqu’on réfléchit aux effets de cette croyance et de ce sentiment d’obligation?
L’histoire de Jorge : Jorge a grandi en Équateur dans une religion chrétienne évangélique fondamentaliste. Lorsqu’il révèle son homosexualité à ses parents à l’âge de 12 ans, ceux-ci l’envoient immédiatement suivre une « thérapie » de conversion. Peu après, Jorge fait une tentative de suicide. À l’époque, il ne fait pas le lien entre son expérience et la « thérapie » de conversion, car il pense que c’est ce que Dieu veut pour lui.
L’une des pires choses que je vis encore et contre laquelle je me bats, ce sont les idées suicidaires… qui ont commencé presque aussitôt que j’ai commencé la « thérapie » de conversion. J’ai fait trois tentatives de suicide dans ma vie et, même après tout ce temps, je vis avec la dépression chronique et le syndrome de stress post-traumatique. Je pensais que mon coming out mettrait fin à mes souffrances, mais le traumatisme s’est manifesté dans mes amitiés et mes relations amoureuses. L’autre effet que ces pratiques ont eu sur moi a été une grande honte. La « thérapie » de conversion présente le sexe homosexuel comme la chose la plus abominable de l’univers, ce qui fait que j’éprouve également des difficultés sur le plan sexuel.
De nombreux survivant·e·s parlent d’effets à long terme sur leur santé mentale, leur fonctionnement et leur capacité à s’épanouir. Il peut s’agir de flashbacks ou de pensées intrusives, d’un chagrin et d’un sentiment de perte persistants, d’une méfiance à l’égard des autres, d’une anxiété sociale permanente, d’une peur du rejet ou de l’abandon, de problèmes relationnels, de problèmes sexuels, d’une méfiance à l’égard de ses pensées ou de ses sentiments, d’une faible estime de soi, d’une dysmorphie corporelle ou de problèmes d’image corporelle, de colère, de suppression des émotions, de honte, de dépression ou d’anxiété, de troubles alimentaires, de troubles du sommeil, de phobies, de consommation d’alcool et de drogue, d’itinérance et de tendances suicidaires. Ces symptômes, et d’autres encore, peuvent tous être liés à un traumatisme complexe (syndrome de stress post-traumatique), à un traumatisme développemental ou à un traumatisme religieux.
Souvent, les survivant·e·s de traumatismes survenus dans le cadre de la relation avec elleux-mêmes ou avec d’autres personnes finissent par croire fondamentalement qu’iels ne sont pas assez bon·ne·s, que les gens vont les décevoir, que les autres ne les aimeront pas s’iels se montrent comme iels sont vraiment ou que le bonheur n’est pas une possibilité pour les gens comme elleux.
Il peut être utile d’aider les personnes à revenir en arrière pour trouver l’origine de leurs croyances fondamentales. Le fait de nommer la source des croyances fondées sur la honte peut aider les client·e·s à déterminer s’iels ont subi des tentatives de conversion ou de rejet de leur identité qui leur ont porté préjudice. Une grande partie du travail effectué en thérapie consiste à aider les gens à désapprendre la croyance fondamentale qu’ils sont le problème, qu’il y a quelque chose qui ne va pas chez eux. Il fait partie de la reconsolidation de la mémoire et du travail de guérison nécessaire pour se remettre des attaques fondamentales contre le soi et l’identité qui sont inhérentes aux pratiques de conversion.
Contributeurs
Rahim Thawer, M. Serv. Soc., travailleur social, est psychothérapeute, chargé de formation clinique, animateur et conférencier, chargé de cours, écrivain et organisateur communautaire. Il consacre près de la moitié de sa pratique clinique à la supervision clinique et à la consultation.
Sly Sarkisova, M. Serv. Soc., est psychothérapeute queer et trans non binaire. Il travaille en santé mentale, dans le domaine du traitement des dépendances et des traumatismes. Il offre des services de consultation, de supervision clinique et de formation sur les pratiques de santé mentale holistiques et anti-oppressives qui tiennent compte des traumatismes.
Naj Siritsky, M. Sc. Serv. Soc., BCC, travailleureuse social·e, D. Min. (il/iel), est spécialiste-conseil en pratique professionnelle et défense des intérêts au Nova Scotia College of Social Workers. Il est travailleur social, titulaire d’un doctorat en conseil spirituel, a survécu à des pratiques de conversion et est le premier rabbin libéral transgenre et non binaire du Canada.
Réfugié de l’Équateur, Jorge Andrade est un survivant de pratiques de conversion. Il est coordonnateur, Engagement et appartenance communautaires, à Rainbow Refugee, à Vancouver.