Trouble-fête : Combattre le capacitisme dans la santé des hommes gais

Je vis avec un handicap qui a un impact considérable sur ma vie. À première vue, il passe inaperçu. Je me fonds dans la foule lorsque je marche dans la rue, mais mon handicap devient immédiatement apparent dès que je commence à parler – je souffre d’un trouble de la parole, soit le bégaiement.

Je me suis fait harceler sans relâche tout au long de mon enfance. Non seulement je bégayais, mais j’étais également gai et gros. La stigmatisation liée au bégaiement affectait toutes les sphères de ma vie. J’ai fait une première tentative de suicide à 13 ans. Après avoir repris conscience, j’ai décidé que la meilleure chose à faire était simplement d’arrêter de parler complètement. Je trainais un stylo et un carnet avec moi et j’ai commencé à apprendre la langue des signes. J’ai capitulé devant les enfants qui me tourmentaient et cela m’a rendu complètement misérable.

Quelques années, une quantité innombrable d'ordonnances d’antidépresseurs et une surdose plus tard, j’ai finalement eu une prise de conscience. J’étais au bout de mon rouleau et je savais que ma souffrance était due aux préjugés et à l’intolérance. La discrimination sociale  envers les individus vivant avec un handicap se nomme le capacitisme, et je ressentais son impact profondément. Je savais bien que j’allais éventuellement finir par me tuer si je continuais de vivre ainsi, donc j’ai décidé de me défaire de ce fardeau et de faire quelque chose qui me tenait réellement à cœur. Je me suis inscrit à l’université afin de devenir travailleur social – le travail social rimait assurément avec acceptance!

Je me suis engagé dans cette nouvelle voie sous l’impression naive que j’intégrais un milieu de compassion. Lors de ma toute première journée, j’ai eu une rencontre au centre de ressources pour les personnes handicapées. Après cinq minutes, le conseiller m’a fortement recommandé de changer de programme dû à mon bégaiement. J’étais au comble du désespoir et j’étais certain d’avoir fait la pire erreur de ma vie. Je venais de déménager à un endroit où je ne connaissais personne afin d’entreprendre une carrière vouée à l’échec. Malgré tout, j’ai persévéré et j’ai poursuivi mes études en travail social. Je savais que j’allais devoir travailler plus fort que mes pairs afin d’être considéré sur le même pied d’égalité, mais je voulais prouver que je pouvais réussir.

Pendant mon premier stage en travail social, j’ai découvert le domaine de la santé des hommes gais à travers le programme de santé sexuelle des hommes gais du Comité du sida de Windsor. Mon stage s’est bien déroulé et le Comité a proposé de m’engager après l’obtention de mon diplôme. J’étais très enthousiaste, mais cette acceptation a été de courte durée. Mon nouvel emploi m’amenait à Toronto afin de prendre part à des réunions – c’est dans ce contexte que le capacitisme vécu lors de mon enfance a refait surface. C’était le moment de se présenter à tour de rôle et j’angoissais. J’étais non seulement entouré d’hommes gais intelligents et intimidants, mais j’étais sur le point de me présenter en bégayant. J’ai figé dès que j’ai ouvert ma bouche. Les mots ne voulaient pas sortir et je me souviens clairement des regards confus, surpris et empreints de jugement autour de moi. C’était comme si j’avais gâché le party – que je me trouvais dans un endroit où je n’étais pas le bienvenu. Ce moment a été douloureux et j’aurais aimé disparaitre.

J’étais entouré de mes pairs et j’étais dévasté. Je voulais me faire accepter à tout prix, mais cela me rappelait l’école primaire. J’ai recommencé à employer mes anciennes stratégies d’adaptation après cette expérience. J’étais passé maitre dans l’art de me cacher derrière mon sourire alors que j’avais plutôt l’impression d’être perpétuellement voué à l’échec. Peu à peu, je permettais à mon handicap de rependre le contrôle sur ma vie. Lorsque je me trouvais au sein d’un grand groupe, je cessais de parler – je passais mon tour lors des introductions et je laissais les autres parler lorsque j’avais quelque chose à dire. Bien que je me trouvais physiquement dans la salle, je ne participais pas vraiment.
Après avoir perdu mon emploi en raison de coupures budgétaires, j’ai appliqué pour de nombreux postes au sein de d’autres organismes de lutte contre le VIH en Ontario, mais leur réponse était toujours la même – ils avaient embauché quelqu’un d’autre. Même si je ne pouvais pas le prouver, j’ai toujours eu l’impression que mon bégaiement en était la cause. Mon découragement était à son comble lorsque j’ai décidé de chercher un emploi dans ma province natale de la Colombie-Britannique. J’adorais travailler dans le milieu de la santé des hommes gais et, fort heureusement, j’ai été en mesure d’obtenir quelques entretiens. Je n’ai pas obtenu le premier emploi pour lequel j’ai appliqué, mais j’ai fini par me faire embaucher par un autre organisme de lutte contre le VIH. Je suis très reconnaissant d’avoir eu cette chance.

Ma première tâche a été de participer au Sommet sur la santé des hommes gais de Vancouver. Je ne connaissais personne et j’avais peur de faire l’objet de capacitisme, donc j’ai tenté de me fondre dans le décor du mieux que je pouvais. C’est à cet endroit que j’ai rencontré une personne qui m’a confirmé que je n’avais pas été engagé pour le premier emploi pour lequel j’avais postulé en C.-B. en raison de mon bégaiement. J’avais finalement la preuve que j’avais été victime de capacitisme et je voulais hurler. Après avoir envisagé de nombreuses possibilités – notamment le fait de déposer une plainte officielle auprès du Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique – un bon ami m’a dit que la meilleure revanche serait de les faire regretter de ne pas m’avoir embauché. Même au sein d’un mouvement dévoué à donner une voix aux laissés-pour-compte, j’avais fait l’objet de marginalisation.    J’allais devoir travailler fort afin de me faire entendre.

Pour ce faire, j’ai appris à défendre mes propres droits. J’ai réclamé des accommodements afin de pouvoir pleinement participer aux réunions, je me suis porté volontaire afin de faire des présentations et de parler publiquement, et j’ai commencé à m’affirmer dans des endroits où je n’étais pas nécessairement à l’aise. On me jette toujours des regards curieux à l’occasion lorsque je parle, mais j’essaie de ne pas y faire attention et de persévérer. Mon parcours a été long et difficile, mais j'ai fini par voir mon handicap comme une partie de moi et je ne cesserai jamais de lutter contre le capacitisme.

Malgré sa rhétorique d’inclusion, la communauté queer demeure un endroit qui résiste aux corps et aux aptitudes alternatives, qui juge les handicaps et qui rejette les membres de la communauté en raison de leurs différences. Mon histoire est unique; de nombreux individus se sentent rejetés par la communauté queer en raison de leur handicap, de la couleur de leur corps ou de leur corps. Ces personnes ne sont pas toutes aussi résiliantes et têtues que moi. Bon nombre d’entre elles tentent de se trouver une place dans notre « communauté fière » et sont laissées pour compte. Je me suis fait une place à leur table et je continuerai à en faire pour les gens comme moi. En tant que communauté composée majoritairement d’hommes gais physiquement aptes, nous devons avoir la volonté de rendre nos espaces, nos réunions et nos vies plus accessibles aux individus vivant avec un handicap. Cela peut sembler difficile puisque chaque personne vivant avec un handicap nécessite ses propres accommodements, mais tout ce que nous avons réellement besoin de faire est te tendre notre main et de dire : « Bienvenue ».

Par Jonathan Degenhardt.

* Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que leur(s) auteur(s) et ne reflètent pas nécessairement les politiques ou les opinions de la CRBC ou de ses bailleurs de fonds.

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