Disqualifié par association : comment l'interdiction du sang gai archaïque compromet la réponse du Canada à la COVID-19

J’ai su que j’étais positif à la COVID-19 le 23 mars. C'était si tôt dans le processus de fermeture des entreprises, de mise en quarantaine et de changement de vie indéfini que le fait d’avoir attrapé le virus si rapidement me semblait incroyable. Lorsque j'ai cessé de me sentir malade après trois semaines de quarantaine à la maison, j'ai découvert qu'Héma-Québec effectuait une étude sur les personnes qui s’étaient remises de la COVID-19. Ils cherchaient le plasma de gens convalescents afin de pouvoir potentiellement traiter le virus, se fondant sur la théorie selon laquelle les personnes rétablies pouvaient avoir des anticorps qui pourraient être utilisés comme forme d’immunothérapie.

HEMAQuebeccropped.jpgAdam Capriolo

Je les ai immédiatement contactés et on m’a rejoint afin de passer un entretien de présélection deux semaines plus tard. Après m’avoir posé trois questions, on m'a demandé si j'avais eu une relation sexuelle avec un autre homme au cours des trois derniers mois et j'ai répondu oui. Ensuite, le ton a changé et l’individu en charge de l’entretien m'a dit que j'avais été disqualifié et que je ne pouvais donner du plasma qu’après une période d’abstinence de trois mois. J'étais tellement incrédule que j'ai raccroché immédiatement.

J'ai toujours été au courant de la politique d'interdiction du sang pour les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes. Je n'ai jamais donné de sang car la politique oblige les donneurs à n'avoir eu aucun contact sexuel avec un autre homme au cours des trois derniers mois. Je le savais. Cependant, lorsque j'ai reçu cet appel téléphonique, je n’y ai même pas pensé car nous vivions dans une crise mondiale sans précédent. Des gens mouraient et j'étais l'un des rares à pouvoir peut-être aider.

Après avoir raccroché, j’étais furieux. Ce n’était pas seulement car je n’étais pas en mesure d’aider, ou seulement à cause de la nature archaïque de cette politique. J'étais furieux car cette politique laissait potentiellement plus de gens mourir du virus et empêchait les personnes en quarantaine de vivre leur vie. S'ils croyaient que c'était un traitement potentiel, alors ils auraient dû employer une forme de questionnement plus efficace afin de savoir si j’étais séropositif plutôt que de supposer que tous les homosexuels le sont naturellement. Ils ne m'avaient pas demandé si j'étais dans une relation monogame, si j'avais eu plusieurs rapports, si j'avais utilisé un préservatif ou même si j'avais eu des relations sexuelles avec pénétration. Ils m’ont simplement demandé si j’avais eu un « rapport homosexuel ».

Convaincu par mon père, un militant de longue date, j’ai partagé l'histoire sur mon compte Instagram et alerté les médias. Je ne savais pas quel était mon objectif final, mais la réaction que j'ai reçue m’a beaucoup surpris : la plupart des gens ignoraient l’existence de cette interdiction, y compris certains hommes queer. Les gens ont commencé à partager mon histoire à cause de leur choc, exigeant un changement de politique. Profitant de l'attention soudaine des médias, j'ai lancé une pétition. J’ai recueilli plus de 3600 signatures en moins de deux semaines. Les chaînes CTV, CBC, CityNews et plusieurs autres émissions de nouvelles ont partagé l'histoire, ce qui a incité plusieurs personnes au Québec et à travers le Canada à se demander pourquoi cette politique existait toujours.

Après avoir publié mon expérience sur Instagram, Héma-Québec a commenté la publication et m'a accusé de « tenir un discours haineux ». Après les avoir dénoncés pour avoir tenté de me culpabiliser d'avoir partagé mon expérience, le Dr Marc Germain, vice-président d'Héma-Québec, s'est excusé en leur nom en parlant à CTV. Dans les excuses, ils ont promis qu'ils travaillaient afin de changer certaines politiques, mais que cela prendrait du temps. Pendant ce temps, ils ont continué de dénoncer ma pétition ailleurs en renforçant les idées stigmatisantes sur le VIH et les hommes queer, suggérant que le risque pour les personnes hétérosexuelles était « marginal » et était « d’environ une chance sur 30 millions ». La dernière fois que j'ai vérifié, le VIH a également un impact sur les personnes hétérosexuelles environ un tiers des Canadiens vivant avec le VIH ont contracté le virus lors de rapports hétérosexuels.

Les hommes queer et autres groupes privés de leurs droits sont très habitués à vivre ce genre de réaction. Nous sommes habitués à nous faire blâmer car nous voulons des réponses, des droits égaux et être acceptés dans la société. Lorsque nous demandons à être traités avec respect, on nous dit que nous en demandons trop.

Certains pays, tels l'Italie et le Mexique, ont remplacé les politiques discriminatoires envers les donneurs de sang par des politiques d'évaluation des risques il y a de nombreuses années. L'excuse que davantage de recherches sont nécessaires afin d’adopter une politique non sexiste qui évalue tous les Canadiens de la même façon peu importe le sexe assigné à la naissance, l'identité de genre ou l'orientation sexuelle est ridicule. Non seulement ces études ont été menées à l'échelle internationale, mais elles ont été effectuées ici également. Il était temps de changer la politique il y a une vingtaine d'années. Cela aurait dû être fait il y a longtemps.

Par Adam Capriolo

Adam Capriolo est un acteur et cinéaste de Montréal, apparaissant régulièrement dans quatre saisons de la série télévisée The Bold Type du canal Freeform. Son dévouement au changement sociétal est profondément ancré dans son travail d'écriture et de réalisation.

* Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que leur(s) auteur(s) et ne reflètent pas nécessairement les politiques ou les opinions de la CBRC ou de ses bailleurs de fonds.

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Le Centre de recherche communautaire (CBRC) promeut la santé des personnes issues de la diversité sexuelle et de genre par le biais de la recherche et du développement d’interventions.
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