En mai 2024, l’équipe du programme bispirituel a été invitée à organiser une série d’ateliers à Haida Gwaii, en partenariat avec le Skidegate Health Centre. En compagnie de Michael Kwag, directeur général du CBRC, cinq membres de l’équipe ont visité cette île éloignée et pittoresque pour quatre journées entièrement dédiées à l’éducation et au dialogue autour de plusieurs enjeux en lien avec l’histoire et l’identité bispirituelles, la sensibilisation au VIH et aux ITSS et leur prévention, la culture drag, et plus encore.
« Cela fait près de trois ans que nous désirons partager des connaissances dans la communauté de Haida Gwaii, explique Lane T. Bonertz, gestionnaire du programme bispirituel. Bien que nous ayons participé à de nombreux rassemblements, pow-wows et événements de la Fierté, c’était la première fois que l’équipe du programme bispirituel était invitée dans une communauté pour parler de son travail, du vécu de ses membres, et des manières de mieux soutenir les personnes 2S/LGBTQ+ vivant dans les communautés rurales et éloignées. »
Les ateliers se sont déroulés dans la salle communautaire de Skidegate, qui avait été décorée aux couleurs de l’arc-en-ciel pour l’occasion. Pendant les quatre jours de l’événement, les membres de la communauté pouvaient aller et venir à leur guise. Certaines personnes étaient des jeunes accompagné·e·s de leurs enseignant·e·s, tandis que d’autres avaient entendu parler de l’initiative par le bouche-à-oreille. Pour animer la discussion, l’équipe avait installé des chaises en cercle. Des remèdes ont été brûlés pendant qu’un·e Aîné·e accueillait chaque matin les participant·e·s. Il était important pour l’équipe que toute activité commence et se termine par une cérémonie, dans le respect des enseignements et des coutumes de la nation Haïda. Toutes les séances ont été organisées en collaboration avec des membres de la communauté locale, des Aîné·e·s et des personnes bispirituelles, afin de garantir que les apprentissages soient authentiques et ancrés dans la sensibilité culturelle.
À PROPOS DES SÉANCES
Chaque membre de l’équipe du programme bispirituel avait passé des semaines à se préparer avec attention. « Nous avons participé à d’importantes conversations et avons connecté sur le plan spirituel avec les membres du groupe qui nous ont raconté leurs histoires, leurs luttes et leurs succès, explique Jaylene McRae, coordinatrice de la recherche bispirituelle. Ensemble, nous avons exploré des enjeux allant des enseignements traditionnels sur la diversité des genres aux difficultés contemporaines auxquels sont confrontées les personnes bispirituelles au sein du système de santé et de la société en général. L’atelier de drag a donné lieu à une discussion qui a suscité l’espoir chez une mère présente avec son enfant. »
Les cercles de discussion auxquels chaque personne participait sur un pied d’égalité avec les autres et témoignait de son propre vécu sans rencontrer de jugement ont favorisé la guérison et la libération. « Nous avons organisé des activités pédagogiques et des échanges sur le VIH, les ITSS et la santé sexuelle, et plusieurs membres du groupe ont déclaré n’avoir jamais entendu d’informations sur ces sujets transmises d’une manière aussi accessible », raconte Lane.
Les paroles de l’équipe ont semblé trouver un écho auprès des personnes qui avaient le plus besoin de les entendre. « Au fur et à mesure des discussions que nous animions, nous avons vu la communauté se transformer en profondeur, déclare Jaylene. Il y avait un sentiment renouvelé de fierté, de compréhension et de solidarité entre les personnes présentes. Nos conseils et notre soutien ont permis à des alliances d’émerger, portées par une volonté de défendre les droits et le bien-être des personnes bispirituelles de la communauté. »
« On avait l’impression que toutes les personnes censées être là étaient dans la salle, ajoute Lane. Nos présentations étaient le point de départ, mais rarement le cœur de la conversation, car petit à petit, nous comprenions et approfondissions les sujets qui intéressaient particulièrement la communauté. »
Pendant son séjour sur place, l’équipe a également parlé des origines et de l’histoire de la bispiritualité, de sa fonction rassembleuse, et du rôle central que jouaient autrefois les personnes bispirituelles dans la communauté du fait de leurs différences et de leurs capacités distinctes. Lors d’un souper communautaire, l’équipe a projeté le film Two-Spirit Resurgence (« Résurgence bispirituelle »), réalisé par Martin Morberg, gestionnaire de projets bispirituels. Ce court métrage présente les perspectives de personnes bispirituelles et LGBTQIA+ autochtones sur le renouveau de leur culture partout sur l’Île de la Tortue.
SUR LE TERRITOIRE
Ce séjour à Haida Gwaii, au sein d’une communauté, a été une expérience intense pour les membres de l’équipe du programme bispirituel, dont plusieurs se remémoraient les rassemblements autour du feu dans leur propre communauté. « À bien des égards, Haida Gwaii m’a rappelé ma communauté d’origine, confie Skye Wilson, adjoint·e à la recherche bispirituelle. Les gens ici aimeraient accueillir les personnes bispirituelles et LGBTQIA+ parmi eux et leur offrir des soins, mais ils ne savent pas comment faire. Cette expérience m’a permis de constater qu’il existe dans les zones rurales des personnes curieuses et désireuses de mieux soutenir leurs proches bispirituel·le·s, queers et trans. Des programmes comme le nôtre permettent de poser des questions difficiles et de s’intéresser à des concepts nouveaux. »
« Ayant moi-même grandi dans une petite ville, j’ai fini par comprendre qu’il n’est pas facile de trouver un terrain d’entente lorsque personne n’a jamais appris à poser les bonnes questions ou à voir les choses d’une autre manière, affirme Lane. Il était important pour nous de créer un espace permettant aux gens d’exprimer leurs pensées et de poser leurs questions, et de remettre en cause leurs acquis; il s’agissait de leur répondre avec bienveillance. Chaque personne est entrée dans l’espace en portant avec elle les sept enseignements sacrés : amour, respect, courage, honnêteté, sagesse, humilité et vérité – qu’elle l’ait fait consciemment ou non. »
Pour les membres de l’équipe, l’un des points forts du voyage a été de pouvoir passer du temps ensemble sur le territoire. « Cette semaine a été une occasion unique pour nous de nous retrouver en personne et de resserrer nos liens, reprend Jaylene. Nous avons rarement l’occasion d’être ensemble, sans distraction. Ces journées consacrées à se connecter à la terre, à partager des repas et à rire étaient précieuses. Elles nous ont redonné l’énergie et l’inspiration nécessaires pour passer aux prochaines étapes de notre travail. »
William Flett, coordinateur du programme Medicine Bundle, est lui-même originaire de Haida Gwaii, et ce fut un privilège pour ses collègues de le voir explorer son territoire après tant d’années d’absence. « Bien que nous n’ayons pas pu visiter tous les endroits que nous voulions, dit William, ni dire tout ce que nous avions à dire, nous savions que le véritable cadeau était d’être là et de créer un espace de soutien et d’inclusion pour tout le monde, partout où nous allions. Tous ces mois, ou même toutes ces années, à réfléchir à ce que nous voulions partager nous ont préparé·e·s à renforcer cet espace de soutien et d’inclusion en tout lieu. »
GRATITUDE RÉCIPROQUE
À la fin de la semaine, chaque membre de l’équipe a reçu une couverture en remerciement de son temps et de ses paroles. « La couverture sur les épaules, nous sentions une gratitude réciproque, confie Lane. Même si c’était nous qui avions été invité·e·s à mener la conversation, les paroles que nous avons entendues et les liens que nous avons forgés nous ont profondément touché·e·s. Notre travail n’est pas toujours facile, mais ce sont ces moments en communauté qui lui donnent sa raison d’être. Toutes les personnes présentes (nous y compris) ont pu offrir au groupe une partie de leur histoire et rapporter quelque chose à la maison. La guérison est plus profonde lorsqu’elle se produit en communauté. »
« Notre équipe a été en mesure de se présenter avec authenticité et d’être reconnue comme telle par la communauté, déclare Skye. Bien qu’il ne s’agisse pas de données quantifiables, j’espère que nous avons montré à tout le monde — jeunes, parents et prestataires de services — que la bispiritualité et les identités LGBTQIA+ sont un don. »
Photo: Jessy Dame, Jaylene McRae, Skye Wilson, William Flett, Lane Bonertz