Voici la première partie d’une série de quatre documents destinés aux praticien·ne·s et aux prestataires de services. Celle-ci donne une voix aux personnes ayant une expérience vécue (survivant·e·s) et contient des extraits d’entrevues avec des professionnel·le·s de la santé mentale menées pour le module d’apprentissage du Centre de recherche communautaire (CBRC), Santé mentale, pratiques de « thérapie » de conversion au Canada.
Question : De quelle façon les survivant·e·s de pratiques de conversion et d’efforts de coercition se présentent-iels aux prestataires de services de santé mentale?
Bon nombre de personnes 2S/LGBTQIA+ ont vécu des pratiques de conversion et des efforts de coercition au cours de leur vie, mais elles ne se considèrent pas forcément comme des survivantes. Il est fréquent que les praticien·ne·s et les prestataires de services ne reconnaissent pas qu’iels ont devant elleux une personne qui a subi de telles pratiques néfastes. En prenant conscience des différentes façons dont le traumatisme du rejet par la famille ou la communauté se manifeste, les praticien·ne·s pourront mieux comprendre cette clientèle, réduire les conséquences des préjudices et garantir de meilleurs résultats.
De nombreuses personnes 2S/LGBTQIA+ ont subi de la pression découlant des croyances de la société selon lesquelles l’hétérosexualité est la seule façon normale d’exprimer sa sexualité et que l’identité de genre d’une personne doit correspondre au sexe qui lui a été assigné à la naissance. Les pressions vécues par ces personnes les rendent vulnérables aux pratiques de conversion, souvent sans qu’elles en aient pleinement conscience, surtout si elles ont également subi d’autres types de traumatismes et si elles vivent de multiples formes d’oppression. Il s’agit souvent d’un symptôme de la « réaction de fauve » à un traumatisme, réaction selon laquelle une personne agit toujours pour plaire aux autres. Il est possible que les personnes qui consultent présentent des symptômes complexes de stress post-traumatique qui peuvent conduire à la dissociation, à l’insensibilité, à l’absence d’identité cohérente ou de sentiment d’identité, ainsi qu’à des réactions traumatiques liées à des problèmes d’identité ou à des problèmes relationnels, ou aux deux.
L’une des expériences les plus courantes des personnes 2S/LGBTQIA+ survivantes de traumatismes est le rejet dès le jeune âge ou le sentiment de ne pas faire entièrement partie de leur famille ou de leur communauté religieuse. Toutefois, avant de pouvoir dire qu’elles ont subi un traumatisme en raison de leur identité ou de leur expression sexuelle ou de genre, elles ont besoin de se sentir en sécurité, ce qui les aide à comprendre qu’elles ne sont pas le problème. Les survivant·e·s ont souvent le sentiment persistant d’avoir tort, d’être mauvais·e·s ou d’être indignes. Parfois, iels ne nomment pas cette expérience comme de la honte, mais iels la vivent ainsi dans leur corps et dans leur être.
Jorge Andrade, un homme gai survivant de pratiques de conversion, explique que « à la suite d’une ‟thérapie” de conversion, il est fréquent qu’une personne s’oppose à recevoir un suivi en santé mentale, même si celui-ci prend en compte les traumatismes ». Toutes les formes d’« aide » peuvent rappeler aux survivant·e·s leur expérience à certains égards, et donc réactiver d’anciens traumatismes. Les problèmes de confiance sont fréquents. Lorsqu’iels trouvent le courage d’être fidèles à elleux-mêmes, iels risquent de perdre leur famille, leur communauté, leurs pair·e·s et leurs amitiés. Iels se retrouvent dans une situation où iels doivent se choisir, plutôt que de choisir les croyances et les opinions de leur famille ou de leur communauté religieuse, ce qui crée énormément d’anxiété.
Les utilisateur·trice·s de services qui subissent des pratiques de conversion au sein du système peuvent avoir été mal diagnostiqué·e·s, s’être vu refuser l’accès à des soins d’affirmation de genre (p. ex., hormones, chirurgies), s’être fait dire que leur identité sexuelle ou de genre était une maladie ou avoir vu leur ou leurs traumatismes ignorés ou niés. Les clinicien·ne·s font souvent l’amalgame entre l’image corporelle et l’identité de genre, alors qu’il s’agit de problèmes cliniques distincts. Les personnes trans ont entendu des choses comme « Pourquoi n’essaies-tu pas d’être un garçon ou une fille? » ou « C’est normal de ne pas aimer son corps; c’est le signe d’une faible estime de soi ou d’un traumatisme ». Ces pratiques sont souvent renforcées par des lois provinciales qui restreignent l’accès à des services essentiels. Par conséquent, les personnes trans sont terrifiées à l’idée de consulter un médecin et d’être délibérément mégenrées. Et, dans de nombreux endroits au Canada, elles n’ont pas accès à des soins de santé sécuritaires et respectueux.
Les efforts de coercition apparaissent souvent de façon sous-entendue dans des suggestions que les gens font. Ces messages et ces incitations peuvent être motivés par différents intérêts, tel que de répondre à des exigences relevant de la piété (par exemple, en remettant en question la foi de la personne) ou d’un sentiment de devoir envers la famille ou d'une obligation de préservation de celle-ci.
Beaucoup de pratiques de conversion et d’efforts de coercition se produisent en contexte religieux. Certains survivant·e·s se sont fait dire que la prière leur permettrait de trouver une réponse plus profonde à ce qu’iels étaient. Leurs sentiments, qui sont en fait une identité, sont présentés comme une « épreuve de Dieu » qu’iels doivent surmonter en se soumettant à des pratiques fondées sur la foi.
Jorge a appris que son « problème » était « le démon de l’homosexualité » et qu’il était « un péché », ce qui l’a poussé à se haïr. À 17 ans, il s’est rendu compte que son traumatisme d’adolescent n’était pas attribuable au fait qu’il était gai, mais qu’on l’avait encouragé à nier sa véritable identité.
Le traumatisme religieux est profond, vaste et englobant, et peut se répercuter sur les actions des prestataires de soins de santé. Il s’agit d’un traumatisme complexe parce qu’il a des effets sur de nombreux aspects du fonctionnement d’une personne : la foi, le sens, les objectifs, la communauté, les relations, la sexualité, l’identité, les mécanismes d’adaptation, etc.
Quiconque encourage une personne 2S/LGBTQIA+ à suivre une « thérapie » de conversion ou fait pression sur elle pour qu’elle change ou qu’elle nie ou réprime son orientation sexuelle, son identité de genre ou son expression de genre se livre à une forme néfaste de pratique de conversion et d’efforts de coercition.
Dans la deuxième partie, nous examinerons les différentes façons dont ce traumatisme fait surface dans la prestation de soins de santé mentale à des survivant·e·s.
Contributeurs
Rahim Thawer, M. Serv. Soc., travailleur social, est psychothérapeute, chargé de formation clinique, animateur et conférencier, chargé de cours, écrivain et organisateur communautaire. Il consacre près de la moitié de sa pratique clinique à la supervision clinique et à la consultation.
Sly Sarkisova, M. Serv. Soc., est psychothérapeute queer et trans non binaire. Iel travaille en santé mentale, dans le domaine du traitement des dépendances et des traumatismes. Iel offre des services de consultation, de supervision clinique et de formation sur les pratiques de santé mentale holistiques et anti-oppressives qui tiennent compte des traumatismes.
Naj Siritsky, M. Sc. Serv. Soc., BCC, travailleur·se social·e, D. Min. (il/iel), est spécialiste-conseil en pratique professionnelle et défense des intérêts au Nova Scotia College of Social Workers. Il est travailleur social, titulaire d’un doctorat en conseil spirituel, a survécu à des pratiques de conversion et est le premier rabbin libéral transgenre et non binaire du Canada.
Réfugié de l’Équateur, Jorge Andrade est un survivant de pratiques de conversion. Il est coordonnateur, Engagement et appartenance communautaires, à Rainbow Refugee, à Vancouver.